La victoire la semaine dernière de Kshama Sawant, candidate de Socialist Alernative, une militante ouvertement révolutionnaire, aux élections municipales de Seattle est un événement de portée historique aux États-Unis et bien au-delà. Son effet se fait immédiatement sentir de ce côté-ci de l’Atlantique dans le débat qui a lieu actuellement en Grande-Bretagne parmi les 10 000 soutiens et 1 000 cotisants, répondant à l’appel initial du cinéaste Ken Loach, qui s’apprêtent à créer le 30 novembre prochain le nouveau parti Left Unity : les supporters de la Socialist Platform de Left Unity – parmi lesquels nos camarades Kathrine Brannan et Henry Nowak (notre article) – voient dans cette victoire la confirmation de leur argument pour « un parti ouvertement socialiste » et pas seulement « de gauche au sens large ». Le même débat est également d’actualité dans d’autres pays, y compris la France. Nous publions ici notre traduction de l’article des camarades australiens de Red Flag (paru cette nuit) ; celui-ci est à la fois un compte-rendu vivant de la campagne de Kshama Sawant, une analyse des raisons de son succès et un appel à l’unité des organisations révolutionnaires trop souvent sectaires les unes par rapport aux autres : le soutien des camarades américains de l’ISO à la campagne d’une candidate du CIO est un contre-exemple de ce sectarisme attitude que nous saluons en levant nos verres au succès de Kshama Sawant et de ses camarades.
Une Socialiste gagne les élections à Seattle
par Barry Sheppard
Article paru dans Red Flag le vendredi 22 novembre 2013
(traduction en français et notes par Jean-Michel Edwin)
Kshama Sawant , une candidate ouvertement socialiste, a remporté l’élection au conseil de la ville de Seattle dans le scrutin de Novembre. Il faudrait revenir à la première moitié du XXe siècle pour trouver quelque chose de semblable aux États-Unis. Kshama Sawant, qui est née en Inde, a immigré aux États-Unis dont elle est maintenant citoyenne. Elle a d’abord attiré l’attention dans le cadre du mouvement local de protestation Occupy en 2011.
Bien que Occupy ait disparu, beaucoup de ceux qui ont été inspirés par ce mouvement ont milité sur d’autres fronts : notamment de l’opposition aux saisies, le soutien aux grèves et manifestations des travailleurs de la restauration rapide et l’opposition aux trains de charbon qui doivent traverser la région de Seattle.
Kshama Sawant a été la porte-parole de ces initiatives, dont les militants constituent l’épine dorsale de sa campagne. Quelques jours après que sa victoire ait été confirmée [1], la nouvelle élue du conseil municipal [2] se tenait avec les travailleurs de Boeing qui occupaient leur compagnie dans le cadre d’une grève. Les employés, organisés dans l’Association internationale des machinistes, venaient de voter à une large majorité contre un contrat de concession.
Le Los Angeles Times rapporte : « La pluie, dégoulinant son poncho bleu, était froide mais les paroles de la conseillère municipale de la ville nouvellement élue grésillaient. » « Entourée par les travailleurs syndiqués réunis pour soutenir les machinistes de Boeing , Kshama Sawant a dénoncé le système des deux partis politiques, la cupidité des entreprises, des contrats militaires et les dirigeants du géant de l’ aéronautique … » «Nous n’avons pas besoin des cadres exécutifs, s’écria la première socialiste élue de Seattle de mémoire historique, que la foule a applaudie en cette pluvieuse heure de rassemblement. » « Nous avons besoin que Boeing soit la propriété publique démocratique des travailleurs, de la communauté ».
Des propositions concrètes
Kshama Sawant a mené campagne autour de trois exigences : l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure, l’institution de contrôles pour freiner la flambée des loyers et la taxation des millionnaires pour financer un système de transport en commun et d’autres projets de la ville. Ces demandes vont dans la direction opposée à la voie de l’austérité que démocrates et républicains ont tracée. Elles ont touché une corde sensible. De même la dénonciation des deux grands partis. Le pays tout entier les a vu incapables de répondre aux besoins des » 99 % » [3]. Pendant ce temps , les « 1 % » ont été choyés pendant la Grande Récession et ce qui s’en est suivi.
Sawant n’a pas caché ou minimisé son engagement politique socialiste. Le fait qu’elle a gagné sur cette base à une élection dans toute la ville est important. Il reflète une nouvelle ouverture vers le socialisme, en particulier chez les jeunes. Un article paru dans le New York Times a cité Sawant , « Je pense que nous avons montré aux sceptiques les plus bornés que l’étiquette socialiste n’est pas mauvaise pour réussir une campagne populaire. » Même l’homme qu’elle a battu, élu titulaire du Parti démocrate depuis 16 ans, Richard Conlin, a déclaré après l’élection : « je ne crois pas que la plupart des gens à Seattle aient peur du socialisme.«
Des sondages récents montrent que 60 pour cent des 18-29 ans préfèrent le socialisme au capitalisme. Cela ne doit pas être surestimé. Ni la victoire de Kshama Sawant ni ces sondages ne signifient que le socialisme soit bien compris, ou qu’un grand nombre se considère maintenant comme socialistes. Les organisations socialistes ont perdu des membres, et l’étiquette reste pour beaucoup un anathème, en particulier dans les régions les moins progressistes du pays. Mais cela montre que les socialistes peuvent faire des percées quand ils ont des propositions concrètes et que les idées socialistes trouvent un écho.
Briser l’étau démocrate
Seattle est une base solide du Parti Démocrate. Cela signifie que Kshama Sawant n’a pas été confrontée à l’obstacle de » moindre mal « , où les gens votent démocrate par peur d’une victoire des républicains. La bataille s’est déroulée ici entre une socialiste et un démocrate. La campagne de Kshama Sawant a commencé modestement . Elle a été en mesure d’utiliser le fait que Seattle est la ville d’un seul parti (NDLR : les démocrates) pour mettre en évidence que le parti démocrate est au service des intérêts des capitalistes.
« L’appareil du Parti démocratique … gère ces villes dans l’intérêt des riches et des puissants », a-t-elle expliqué, soulignant que Conlin était un « politicien vendu aux grandes entreprises ». Plus la campagne a avancé, plus cela est devenu une évidence .
« Conlin a recueilli des dons de toutes les entreprises immobilières, des cabinet d’avocats du centre-ville, des magnats de la construction, des grands manitous du chemin de fer, et ainsi de suite », a noté un commentateur .
Sawant a rejeté les dons des entreprises. Mais tandis que sa campagne montait en puissance, sa base militante a collecté une somme considérable (mais inférieure tout de même aux dépenses de Conlin) de $ 125,000. Conlin a également eu le soutien du grand quotidien le Seattle Times, des comités de district du Parti démocrate, de plusieurs syndicats, des principales organisations environnementales et des autres élus.
Sawant est professeure d’économie au Seattle Community College. La Fédération américaine des enseignants locaux la soutenu sa candidature, à l’instar d’un local de la Service Employees International Union ( SEIU ). Elle a également été approuvée par The Stranger [4], un journal communautaire qui s’adresse aux jeunes, aux personnes radicales et aux LGBTI.
Comme l’élan de sa campagne grandissait, il y eut des défections intéressants. Certains responsables démocrates ont rompu les rangs pour soutenir Sawant. Puis, le conseil du travail de comté a voté à 28 voix contre 21 pour soutenir la socialiste. Résultat insuffisant pour une soutien formel, mais qui a fait les manchettes.
A ce moment Conlin s’est mis à soutenir un salaire minimum à 15 dollars, de même que les deux autres démocrates en lice pour la mairie. Un autre facteur à l’appui de Kshama Sawant était que Conlin était à la tête de la commission d’aménagement du territoire du conseil de la ville, avec un profil pro-investisseurs immobiliers. Un militant a écrit dans une lettre à l’éditeur, « Quand les citoyens ordinaires ont assisté aux réunions sur l’utilisation des terrains, dans un grand nombre de cas Conlin a ignoré nos appels » (pour empêcher les investisseurs de fouler aux pieds les préoccupations de la population locale).
« Les membres du Conseil ont dit nos idées étaient« nulles et non avenues », de sorte que nous nous sommes tournés vers Sawant et avons découvert qu’elle comprenait nos préoccupations. Elle milite avec passion pour le pouvoir des gens pas celui des entreprises ». Sawant était candidate de Socialist Alternative, une organisation affiliée du Comité pour une Internationale Ouvrière basé en Grande-Bretagne. Le CIO se considère comme trotskyste.
Sa campagne a reçu le soutien de l’International Socialist Organization (ISO). Il est à espérer que des efforts similaires puissent rassembler les socialistes révolutionnaires de différentes origines aux États-Unis dans le travail commun et la discussion [5].
1.- Samedi 16 novembre 2013 (NDLR Prométhée)2.- Conseil municipal qui comporte 9 membres (NDLR Prométhée)
3.- Le mouvement Occupy s’est mobilisé au nom « 99% des gens face au 1% de possédants » (NDLR Prométhée)
4.- L’Étranger (NDLR Prométhée)
5.- Aux États-Unis et aussi ailleurs, ajouterons nous !