Pour une action politique générale

Le capitalisme n’est pas qu’un système d’exploitation du travail et de la nature. C’est un rapport social, une puissance sociale, un système d’oppressions imbriquées, simultanées, superposées. Comme le soulignait, en 1984, Barbara Smith : « Il n’y a aucune chance pour qu’un groupe opprimé renverse le système tout seul. » Toute tendance à séparer les oppressions, à considérer l’extorsion de la plus-value comme ayant un statut spécial est une voie sans issue. Pire cela laisse les mains libres au capital, rendant impuissante toute tentative globale d’affronter le pouvoir du capital. C’est dans ces conditions que se pose la question de l’intersectionnalité, concept construit dans les luttes afroféministes aux États-Unis. Ce concept cherche à imbriquer les oppressions de classe, de genre et de race avec comme objectif un mouvement unifié – ce qui ne signifie pas uniforme – pour combattre toutes les formes d’oppressions. Ce qui constitue le cœur d’un véritable projet émancipateur. A la différence de Laclau et Mouffe qui, en 1985, théorisaient « l’autonomisation des sphères de luttes » laissant ces dernières flotter dans la superstructure sans relation avec l’exploitation, l’intersectionnalité a besoin du prolétariat et de sa puissance collective.

La transformation néo-libérale de la société est une offensive globale, elle ne touche pas que l’économie, elle touche toutes les sphères de la société. Il y a une cohérence dans cette transformation : le seul droit fondamental est celui de la propriété privée des moyens de production, réaliser l’homme entrepreneurial qui fait (ou non) fructifier son capital dans toutes ses activités, y compris personnelles. C’est un processus de dé-prolérisation du prolétariat que passe par la destruction de toute forme pouvant inspirer un sentiment collectif (sécurité sociale, code du travail, intégration des syndicats comme acteurs de la gouvernance). C’est également un processus de dé-démocratisation ; rien de peut remettre en cause les normes établies même pas le suffrage universel (France 2015, Grèce, Catalogne).La gouvernance remplace le gouvernement. La fonction de l’État est de faire respecter les normes juridiques et les bonnes pratiques économiques comme le soulignent Dardot et Laval dans la Nouvelle Raison du Monde. La réalité démontre la pertinence de ce que disait le Manifeste communiste : « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, c’est-à-dire tous les rapports sociaux. »

Cette réalité pose la question de l’émergence d’une approche globale, d’un projet émancipateur. Il n’y a pas de solution miracle, mais cette question est fondamentale pour développer une praxis cherchant à désacraliser l’idéologie dominante et à faire émerger l’hégémonie des couches sociales exploitées et opprimées. Nous savons que toute mobilisation spécifique, fut-elle puissante, ne crée pas spontanément une réponse politique porteuse d’une alternative au pouvoir du capital. Mais elle peut l’ébranler ses bases : ainsi la détermination de la ZAD de Notre-Dame des Landes a fait reculer un gouvernement qui assume son intransigeance sur d’autres questions ; le mouvement Metoo repose avec force la question de la domination masculine au point que les puissants se serrent les coudes.

Il n’existe aucun magicien capable de créer un mouvement de masse. Comme Rosa Luxemburg « considérons le tableau vivant d’un véritable mouvement populaire issu de l’exaspération des conflits de classe et de la situation politique explosant avec la violence d’une force élémentaire en conflits aussi bien économiques que politiques. » auxquels viennent s’ajouter les luttes contre la destruction de la nature et celles contre toutes les formes de racisme et de discriminations (notamment sexuelles) et portons les idées d’émancipation dans ces mouvements qui naissent naturellement de la lutte sociale en y posant la question d’une « action politique générale » comme l’indique Marx dans Salaire, Prix et Profit, car en restant dans la cadre d’une lutte purement revendicative le pouvoir du capital demeure le plus fort.

Cela passe par une révolution culturelle pour un très grand nombre de militantes et militants du mouvement ouvrier. S’il est vital de répondre aux attaques incessantes, généralisées du néo-libéralisme, il est hors de question de s’y laisser absorber. Il est temps de prendre conscience de la nécessité de sortir de la position de simplement réagir à chaque action du gouvernent. Car dans ces conditions c’est lui qui a l’initiative, et tout mouvement de contestation limite automatiquement sa capacité à contrecarrer les plans du pouvoir. La construction du commun entre les couches sociales exploitées et opprimées passe par un chemin, souvent escarpé, de libération de l’idéologie dominante et la capacité à se forger leur propre vision de la société.

S’il est vrai que la contre-révolution ordo-libérale détruit un à un les cadres susceptibles de produire du commun, cela ne peut constituer un problème que pour ceux dont la réalité doit se plier à leurs dogmes (grève générale insurrectionnelle conduite par un parti d’avant-garde pour certains, construction du peuple par un chef charismatique pour d’autres). Certes la situation n’est pas facile, mais l’était-elle au début du capitalisme industriel ? Quant en sortant du rapport exclusif entre patron et ouvriers, ces derniers sont parvenus à se regrouper en syndicats via les Bourses du travail. Réfléchissons concrètement à la question de la création des outils d’aujourd’hui, de l’appropriation de l’espace public.

Emile Fabrol

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