par Henry Nowak
A l’occasion des élections au Bundestag, Jean-Luc Mélenchon a commis sur son blog un commentaire suintant de xénophobie antigermanique (« Allemagne : un vote d’égoïsme national! ») A l’en croire, le responsable de tous les problèmes, le fautif exclusif de la crise, ce n’est pas le capital, ce ne sont pas les bourgeoisies nationales des différents pays composant l’Union européenne, c’est l’Allemagne, ce sont les Allemands (vieux riches) qui ont mal voté : « Le vote nous fait connaître la décision d’une majorité vieillissante, apeurée, sans vision ni goût du futur puisque sans jeunesse dont il lui faudrait se préoccuper. C’est un vote égoïste. » Et : « Le vote de ce dimanche n’est donc pas un vote bon pour l’Europe. D’abord parce qu’il encourage une politique nationale qui nuit profondément aux peuples qui la constitue au seul profit d’un seul d’entre eux. Ensuite parce qu’il encourage l’arrogance nationale de gouvernants persuadés qu’ils sont un modèle pour les autres et détiennent une vérité que les autres doivent admettre ou bien être fessés. Les chefs allemands de la droite qui parlaient déjà fort mal aux européens ne vont plus se retenir. »
Mélenchon a dû relire une collection de l’Humanité de 1944, quand les staliniens hurlaient « A chaque Parisien son boche ! » et « Plus fort les coups sur le boche chancelant ! »
L’internationalisme est un des principes fondamentaux des communistes ; c’en est même, d’après Marx et Engels, un des deux traits caractéristiques : « Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. » (Manifeste du Parti communiste).
Il en découle que les communistes s’opposent radicalement à toute tentative d’inoculer à la classe ouvrière le bacille du nationalisme sous quelque forme que ce soit : racisme, antisémitisme, xénophobie et ce même, et ce surtout, quand cette infection se masque sous les oripeaux de la défense de la « patrie » ou de la république. Depuis Lamartine, la bourgeoisie française et ses serviteurs savent utiliser le drapeau tricolore contre le drapeau rouge de la révolution. Il n’y a pas de politique indépendante de la classe ouvrière possible à la traîne des intérêts nationaux de telle ou telle fraction de la bourgeoisie, grande ou petite.
Le slogan « Intérêt national, intérêt du capital », pour sommaire qu’il soit, n’en est pas moins d’une absolue justesse.
De même que les acteurs de la Révolution française, imprégnés de culture classique, se légitimaient en empruntant symboles et vocabulaire à la Rome antique (du bonnet phrygien au titre de Consul), les socialistes/communistes français semblent ne pas pouvoir se détacher de la révolution bourgeoise. Si encore c’était pour s’inspirer de sa radicalité, il n’y aurait que demi-mal. Mais c’est beaucoup plus souvent pour y trouver l’excuse justifiant le ralliement à la nation, à la république, au « peuple français ». On chante la Marseillaise (qu’un sang impur…), on brandit le drapeau tricolore, on honnit l’anarchiste allemand Cohn-Bendit, on veut produire français et on s’allie aux gaullistes « progressistes » contre « l’Europe germano-américain » (comme dans les années 77-78) et au nom de l’anti-atlantisme ou de l’antisionisme on se retrouve en étrange compagnie.
Quand Mélenchon fait entendre son chant de sirène et annonce que la réélection d’Angela Merkel « prépare un désastre pour la civilisation européenne» (Angela = Attila ? Les hordes hunniques seraient-elles à nos frontières ?), il convient de revenir sur la forme particulière que prend, en France, l’abdication devant sa bourgeoisie nationale: l’anti-germanisme. Se remémorer les dérives que le mouvement ouvrier a subi dans le passé, et les écueils où elles l’ont mené contribuera, on l’espère à ne pas retomber dans les mêmes errances.
Ce que nous voulons montrer ici, en parcourant l’Humanité, d’abord dans les premiers jours de la première boucherie impérialiste mondiale, puis dans les années 35-36, c’est que le patriotisme qui est en fait un anti-germanisme et la collaboration de classe, qu’elle prenne la forme du Front populaire ou de la Résistance, sont intrinsèquement liés sous couvert de défense de la République une et indivisible contre « le Boche », l’«impérialisme germano-américain », la finance internationale ou autre monstre cosmopolite.
Nous savons que « l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante ». Un des piliers de l’idéologie de la bourgeoisie triomphante, du XVIIIe au début du XXe siècle était le nationalisme, chanté sous l’air d’« Allons enfants de la patrie », de « Deutschland über Alles », «Jeszcze Polska nie zginęła», etc. Il convient de préciser que cette idéologie domine encore les esprits des classes dominées alors que la haute bourgeoisie a depuis belle lurette adopté une vision mondiale de ses intérêts. Et tout communiste internationaliste devrait faire son examen de conscience à ce sujet : n’a-t-il jamais succombé à la tentation d’attribuer au prolétariat français des qualités particulières, de penser, citations de Marx à l’appui, que la France a été et sera la patrie de la révolution ? N’a-t-il jamais éprouvé quelque fierté à comparer l’état des forces d’extrême-gauche organisées en France et, disons, en Allemagne ? Engels, dans une lettre à Paul Lafargue du 27 juin 1893, avait déjà vu le danger de cette dérive et tapait gentiment sur les doigts d’une des grandes figures du mouvement ouvrier français à ce sujet. (A propos, nous ne saurions assez recommander la lecture – et la pratique – de son « Le droit à la Paresse »).
Rosa Luxemburg contre Jean Jaurès
Ce n’est pas qu’en 1936 que la défense de la République servit de prétexte au renoncement à une position de classe.
Quand, en juin 1899, le socialiste Millerand rejoint un ministère Waldeck Rousseau aux côtés du massacreur de la Commune Gallifet, c’est au nom de la « défense de la République » que Jaurès soutient cette participation. Ce à quoi Rosa Luxembourg répondait :
«L’unique méthode à l’aide de laquelle nous puissions atteindre la réalisation du socialisme est la lutte de classes. (…) c’est précisément à ce point de vue aussi que la participation au pouvoir bourgeois paraît contre-indiquée, car la nature même du gouvernement bourgeois en exclut la possibilité de la lutte de classes socialiste. (…) Le caractère d’un gouvernement bourgeois n’est pas déterminé par le caractère personnel de ses membres, mais par sa fonction organique dans la société bourgeoise. Le gouvernement de l’Etat moderne est essentiellement une organisation de domination de classe dont la fonction régulière est une des conditions d’existence pour l’Etat de classe. Avec l’entrée d’un socialiste dans le gouvernement, la domination de classe continuant à exister, le gouvernement bourgeois ne se transforme pas en un gouvernement socialiste, mais un socialiste se transforme en un ministre bourgeois. Les réformes sociales qu’un ministre ami des ouvriers peut réaliser n’ont en elles-mêmes rien de socialiste, elles ne sont socialistes qu’en tant qu’elles ont été obtenues par la lutte de classes. Mais venant d’un ministre, les réformes sociales ne peuvent pas avoir le caractère de classe prolétarien, mais uniquement le caractère de classe bourgeois, car le ministre, par le poste qu’il occupe, les rattache à sa responsabilité pour toutes les autres fonctions du gouvernement bourgeois, militarisme, etc. (…) L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’Etat bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’Etat bourgeois. »
Quelques années plus tard, elle poursuivait sa critique de Jaurès :
« Dans la période antérieure au récent congrès qui décida l’unification, Millerand n’était plus depuis longtemps au gouvernement, mais les partisans de Jaurès restaient toujours alliés avec les partis bourgeois pour une prétendue « défense » de la République : c’est alors qu’à Limoges coula à flot le sang des ouvriers français qui revendiquaient d’être mieux traités par leurs contremaîtres. En devenant un parti qui soutenait toujours et partout la politique du gouvernement, les jaurésistes étaient obligés de voter un budget dont les plus beaux fleurons étaient les fonds secrets (aux fins de rétribuer les mouchards), des dépenses sans cesse accrues pour la marine et l’armée – cet instrument le plus puissant de la bourgeoisie dans sa lutte contre les revendications ouvrières – , un budget fondé dans sa quasi-totalité sur les impôts indirects et qui pèse donc de tout son poids sur les épaules des couches sociales les plus pauvres. Pris dans cet engrenage, les partisans de Jaurès durent également soutenir l’alliance franco-russe, en tant que prétendue « garantie » de la paix européenne. Tant et si bien que pendant l’Exposition universelle de Paris en 1900, Millerand s’abstint d’assister au congrès socialiste international qui se tenait au même moment, afin de ne pas se compromettre aux yeux de ses collègues bourgeois du ministère, tandis que ses convictions « socialistes » ne l’empêchaient pas d’accueillir à l’Exposition le tsar sanglant et même de laisser orner sa propre poitrine d’une décoration impériale. » (L’unification des socialistes français, Paru dans Czerwony Sztandar V. N°26, mai 1905)
Accepter la participation à la gestion des affaires de la bourgeoisie va de pair avec l’acquiescement à la politique étrangère de celle-ci. Ainsi Jaurès pouvait écrire le 10 juillet 1908 dans un journal allemand, le Berliner Tageblat :
Une entente entre la France, l’Angleterre et la Russie, une Triple-Entente n’est pas en elle-même une menace pour la paix. Elle peut même avoir des buts et des effets pacifiques. En tout cas, elle démontre que des beaucoup de contradictions, qualifiées d’insurmontables peuvent donner lieu à conciliation. A l’époque de Fachoda, la France et l’Angleterre semblaient à la veille d’une guerre, et maintenant elles viennent de conclure l’Entente Cordiale. (…)
Même la nouvelle Triple-Entente pourrait concourir une solution pacifique (…) si la France comprend correctement son rôle et si elle possède à côté de la conscience de sa force, la conscience de son devoir.
Il est malheureux que l’Allemagne paraisse se solidariser avec la Turquie (…) Si l’Allemagne faisait entendre (…) en temps voulu la voix de la raison, elle faciliterait aux amis de la paix la tâche qui consiste à donner au rapprochement ente la France, la Russie et l’Angleterre une signification véritablement pacifique (…)
C’est donc de la faute de l’Allemagne si la paix était en danger.
Rosa Luxemburg, dans une Lettre ouverte à Jean Jaurès, remit les pendules à l’heure :
«Je crois (…) que les échafaudages [Kombinationen] politiques qui parlent de la « France », de l’« Allemagne », de la « Russie », de l’ « Angleterre » et de l’intérêt de ces entités problématiques, ressemblent comme deux gouttes d’eau aux combinaisons de la corporation des politiciens bourgeois. Je crois que les « intérêts » des Etats capitalistes d’aujourd’hui, en politique étrangère, diffèrent également beaucoup et même s’opposent directement, suivant qu’on les considère du point de vue des classes dominantes ou du point de vue du prolétariat et de sa politique de classe. C’est pourquoi le socialisme n’a pas du tout intérêt à soutenir la mystification de la politique bourgeoise officielle, la mystification des « intérêts d’Etat » ou des « intérêts populaires » conçus comme un tout homogène, c’est-à-dire la mystification de l’harmonie des intérêts dans le domaine de la politique étrangère. »
Il faudrait citer ce texte en entier, car il définit parfaitement ce que doit être une politique « étrangère » de la classe ouvrière et de ceux qui se veulent ses représentants politiques : pour Rosa Luxemburg, c’est le sort de la classe ouvrière russe, l’avenir de la révolution en Russie, qui doit déterminer la politique des socialistes, non un quelconque « intérêt national » illusoire et trompeur. (Lettre ouverte à Jean Jaurès, in « Le socialisme en France 1898-1912, Editions Belfond, 1971)
1914 : l’Union sacrée
On ne peut pas savoir exactement ce qu’aurait fait Jaurès s’il n’avait pas été assassiné le 31 juillet. Mais on sait qu’ « il avait beaucoup dépensé de son temps dans la dernière semaine de juillet pour obtenir de la C.G.T. qu’elle renonçât à son traditionnel mot d’ordre de grève insurrectionnelle et même qu’elle renonçât aux manifestations de rue (…) » (Annie Kriegel, Jaurès en juillet 14, in Le pain et les roses, PUF 1968)
La capitulation sans combat des partis de l’Internationale socialiste devant leurs bourgeoisies respectives, leur passage avec armes et bagages dans le camp des militaristes, des chauvins et des massacreurs d’ouvriers est bien connue. Voyons en quels termes elle s’est exprimée aux premiers jours de la grande boucherie :
Dès le 3 août 1914, la veille des obsèques de Jaurès, un article en page 1 de l’Humanité, sous le titre « Les socialistes français et la guerre » assure, en citant Vaillant, « En présence de l’Agression, les Socialistes rempliront tout leur devoir, pour la Patrie, pour la République et pour l’Internationale »
Le 6 août, l’Humanité titre « L’Europe se soulève contre l’agression allemande », et un article en page 2 annonce le thème du « barbare germanique » : « L’Opinion civilisée contre l’Allemagne »
L’Allemagne devient « l’ennemi », on parle de « Barbarie à Berlin »… L’Huma se fait la courroie de transmission du bourrage de crane officiel, rapportant les bobards sur les « atrocités allemandes » les « cruautés allemandes » en Belgique. Et cela continue sur ce ton tout le long du grand massacre.
Le Front populaire
Le 8 avril 21, l’Humanité jusqu’à là « Journal socialiste » devient « Journal communiste ». Et défend avec constance la ligne internationaliste du Parti communiste français (S.F.I.C.) pendant plus de dix ans. A partir du milieu des années vingt, naturellement, les cierges brulés aux pieds du grand Staline vont de pair avec les exorcismes contre les diaboliques trotskystes, mais l’ennemi principal reste l’impérialisme français. Ainsi, lors de la prise du pouvoir des nazis en Allemagne, les responsables désignés sont les dirigeants français, jusqu’à y compris les sociaux-démocrates : dans l’Huma du 31 janvier 33 on peut lire : « Hitler ? L’enfant naturel du « moindre mal » cher à MM. Blum, Frossard et Cie. » On est encore loin du Front populaire !
Mais déjà, en octobre 1934, allant au-delà du front unique réalisé en réaction à l’émeute fasciste du 6 février, Maurice Thorez affirme qu’ « il s’agit de réaliser contre la réaction et le fascisme l’alliance durable de la classe ouvrière et des classes moyennes. » Et ce basculement vers une politique interclassiste s’accompagne, très logiquement, d’une redéfinition de l’héritage communiste visant à en faire une simple extension de la pensée progressiste bourgeoise : « Notre doctrine marxiste (…) procède, en le développant, du matérialisme des grands encyclopédistes du dix-huitième siècle. Nous sommes les héritiers authentiques des Diderot, des Voltaire, des pères de la pensée libre en France et dans le monde. » (Discours du 10 octobre à la Salle Bullier)
En mars 35, c’est la bataille contre l’allongement de la durée du service militaire, contre le surarmement français, (le 17 mars, un tire barre la une « LES DEUX ANS C’EST LA GUERRE ! » le lendemain, c’est : « Course à la guerre, la riposte de Hitler à l’impérialisme français alerte toutes les chancelleries », le jour suivant : « Il faut barrer la route aux provocations chauvines».
Cette campagne, agrémentée de rappels sur l’origine du Parti communiste dans le refus de la Défense nationale (une série d’articles de Jean Bruhat sur le Congrès de Strasbourg de 1920), d’articles sur les mauvais traitements subis par les conscrits dans les casernes, se développe jusqu’à la signature de l’accord franco-soviétique en avril. Le virage était signalé le 13 avril par un article de Vaillant-Couturier « Au secours de la culture française » dans la conclusion duquel on peut lire : « Si les prolétaires, pour reprendre le mot de Marx, « n’ont pas de patrie », ils ont pourtant, dès à présent, eux les internationalistes, quelque chose à défendre : c’est le patrimoine culturel de la France, ce sont les richesses spirituelles accumulées par tout ce que ses artistes, ses artisans, ses ouvriers, ses penseurs ont produit. » La conférence de franco-anglo-italienne de Stresa donne naissance à « un accord contre les menaces hitlériennes »…
Le 1er mai, c’est la signature du pacte d’assistance mutuelle franco-soviétique. On est en pleine campagne municipale, c’est le thème qui fait les gros titres de l’Huma. Mais c’est de nouveau Paul Vaillant-Couturier qui embouche la trompette patriotique : le 9 mai, sous le titre « Conquérir la Patrie », on peut lire sous sa plume :
« Nous, communistes, ce mot-là [patrie] ne nous fait pas peur du tout.
La patrie ? Pourquoi pas ?
Nous voulons la conquérir. Entre elle et nous il n’y a que le mur de plus en plus ébranlé du Profit. En attendant, il nous faut tout faire pour protéger contre les capitalistes destructeurs de machines et les fascistes destructeurs de culture ses richesses matérielles, ses richesses morales et intellectuelles accumulées par tant de générations de Français laborieux.
(…) Nous sommes fiers des traditions révolutionnaires françaises dont nous nous considérons comme les héritiers les plus directs.
Aussi, dans la lutte antifasciste, sommes-nous aux côtés de tous ceux qui se réclament de ces traditions. »
Sans doute, au sein du Parti, il y avait des interrogations sur la nouvelle ligne. Le 19, une manifestation de masse avait réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes (L’Huma parle de deux cent mille) au Mur des Fédérés. Le 21 mai, Gabriel Péri signe un article éditorial « Les Soviets, le Führer et nous » où on lit :
« Mais alors, nous objecte Léon Blum, vous acceptez la défense nationale inconditionnée ?
Non point. Non point, Nous n’acceptons ni la défense, nationale conditionnée ni la défense nationale inconditionnée. Nous sommes pour la défense révolutionnaire. Nous sommes résolus à accomplir en cas de guerre notre devoir de défense révolutionnaire, s’il heurte la prétendue défense nationale. Nous sommes résolus en cas de guerre à accomplir notre devoir de défense révolutionnaire s’il coïncide avec la prétendue défense nationale. Nous répudions toujours la défense nationale. Nous restons toujours f idèle à la défense révolutionnaire. La défense révolutionnaire exige que nous défendions la paix contre la contre-révolution hitlérienne. Le défaitisme révolutionnaire exige que nous lutions pour la défaite de la contre-révolution hitlérienne. Est-ce clair ?
A quoi nos contradicteurs répliquent : « Ne craignez-vous point de vous laisser entraîner à l’Union sacrée ; ne redoutez-vous point d’être associés à la préparation de la guerre ? Et n’allez-vous pas être contraints à approuver la loi de deux ans ?
Réponse : Nous ne nous associerons à aucune union sacrée et nous sommés bien décidés à combattre de toutes nos forces la loi de deux ans et les crédits militaires. Pourquoi ? Parce que la loi de deux ans est une loi de réaction politique et sociale, une loi fasciste, parce tu’ elle prépare l’armée de métier, la Reichswehr française, parce que la militarisation qu’elle organise à la demande des hitlériens français, loin de permettre la défense révolutionnaire contre l’hitlérisme allemand livrerait; la classe ouvrière de ce pays à la barbarie hitlérienne.
La défense contre l’hitlérisme ne sera tas assurée par une nation militarisée et fascisée, mais par des masses populaires unies dans le front antifasciste de la liberté, résolues à sauvegarder les libertés démocratiques et à les élargir, assez fortes pour faire aboutir les revendications essentielles du monde ouvrier, Nous luttons contre l’hitlérisme en lutant pour le pouvoir, et la lutte pour le pouvoir, c’est la lutte pour les revendications du front populaire des ouvriers, des paysans, des soldats, des petits commerçants contre l’oligarchie possédante et gouvernante — contre ses alliés les fascistes français.
Ni union sacrée ni défense nationale I Unité ouvrière Front populaire ! Défense révolutionnaire !
L’accent n’est plus sur la lutte contre l’allongement du service militaire à deux ans lequel, peu de jours auparavant, était presque présenté comme une provocation contre l’Allemagne, mais sur le combat contre l’hitlérisme et pour la paix.
Le 24, c’est Jacques Duclos qui, dans un article assez emberlificoté, explore divers cas de figure dont l’un, une guerre où la France, en application du pacte Laval-Staline, entrerait en guerre contre l’Allemagne hitlérienne, aux côtés de l’Union soviétique : « Mais si la situation politique est telle que la guerre de contre-révolution capitaliste n’est pas menée par l’ensemble des pays impérialistes, si certains d’entre eux, en raison de contradiction, d’intérêts les opposant à d’autres, agissent de concert avec le pays du socialisme, leur action sert objectivement la cause de la paix, qui se confond avec la cause du pouvoir des travailleurs, elle, sert objectivement la cause du Prolétariat, qui ne se sépare pas de la sauvegarde du pays où les travailleurs ont conquis leur patrie. »
Le 28, sous l’apparence d’une étude historique sur la guerre franco-prussienne de 1870, Jean Bruhat excuse par avance un alignement de la classe ouvrière française sur sa bourgeoisie nationale : « Examinons la situation présente, quand le socialisme est vainqueur sur un sixième du globe, quand Badinguet s’appelle Hitler et quand le fascisme est « l’infâme qui trouble la paix »…
Il est clair, et les discours de Thorez, le 17 mai à la salle Bullier ou devant le Comité central au lendemain des élections municipales, le 1er juin, en portent la trace, que les termes du communiqué dans lequel Staline « comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité» font problème au sein du parti. Officiellement, la ligne reste « Non à la défense nationale », mais au nom de la défense de l’Union soviétique on est prêt à renoncer à la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ».
Dans le même temps, et « ce n’est pas un hasard », les attaques contre les trotskystes, censés être insignifiants, se multiplient, ce qui semble indiquer que leurs arguments n’étaient pas sans écho dans les rangs du PCF. Le 21 mai, c’est Duclos qui tonne contre les trotskystes qui, « dans leur journal confidentiel La Vérité » refusent l’alliance avec le Parti radical et voulaient s’opposer à la manifestation fasciste à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc. « Ces gens sans autorité ni responsabilité peuvent faire les propositions les plus folles, elles ne font ni chaud ni froid. Elles ne changent rien à rien… » Mais doivent quand même être dénoncées car « la tactique des trotskystes aurait eu pour effet de repousser les classes moyennes dans les bras de la réaction. (Deux tactiques)
Le 16 juin, Thorez lui-même s’en prend aux « trotskystes qui ne peuvent et ne veulent pas comprendre que le Front populaire signifie la possibilité de faire reculer le fascisme en l’empêchant de gagner les classe moyennes contre le prolétariat révolutionnaire, la possibilité d’entraîner sous la direction de la classe ouvrière ces mêmes classes moyennes – qui constituent la majorité de la population – dans la bataille contre le capital, la possibilité d’aboutir dans les faits et dans les paroles à la prise du pouvoir. (Contre le sectarisme trotskyste. Avec les masses populaires.)
Le 14 juillet 1935
Le 2 juillet, l’historien de service, Jean Bruhat, est mobilisé pour rassurer les militants qui pourraient craindre que la célébration du 14 juillet ne soit un ralliement à la collaboration de classe : « Mais le rassemblement antifasciste du 14 juillet prochain témoignera de la profondeur et de l’actualité de la tradition jacobine. Notre Parti a largement contribué à ce rassemblement. Certains camarades ont tremblé pour notre pureté révolutionnaire. Ils nous ont dit : qu’allez-vous faire dans une telle manifestation ? Allez-vous exalter la révolution bourgeoise ? » Puis une semaine plus tard, le 9, il abat ses cartes : il s’agit de réhabiliter le drapeau tricolore « [que] les jacobins brandissaient ») et la Marseillaise !
Même le Tour de France est prétexte pour remuer le pathos de la Révolution française : « Arras, c’est Robespierre ; Saint-Quentin, c’est Gracchus Babeuf ; Guise, c’est Camille Desmoulins. Mais le souvenir de Saint-Just plane sur la région entière. » (En suivant le Tour, 5 juillet 1935)
Le 7, nouvelle attaque de Duclos contre « la feuille confidentielle trotskyste [qui fait] écho aux désirs de l’organe du Comité des Forges » et « la secte trotskyste [qui] insulte le Parti radical comme pour le repousser dans les bras de la réaction. »
Le 10, il devient lyrique (ou mystique, au choix) :
« C’est un miracle, le miracle de la véritable réconciliation française pourrait-on dire, qui est en train de s’opérer sous le drapeau du Front populaire.
Ainsi les drapeaux tricolores et les drapeaux rouges qui seront mêlés le 14 juillet symbolisent les luttes du passés et les luttes à venir. Ce n’est d’ailleurs pas une des choses les moins importantes des temps présents, que de voir ainsi s’effectuer la réconciliation de l’ouvrier révolutionnaire qu’anime le souffle de la justice sociale, du paysan attaché à la terre, à la paix et à la liberté et du Français moyen avide d’ordre et de tranquillité. »
Certes, on clame encore « les Soviets partout », on affirme ne pas avoir changé une virgule au programme du parti, mais le virage est pris. Si on fait des reproches aux socialistes, c’est de ne pas être assez accommodants envers le Parti radical et d’accueillir des trotskystes en son sein.
Des centaines de milliers de syndicalistes ouvriers et employés, de communistes et de socialistes, ont défilé le 14 juillet de la Bastille à Vincennes « Pour la liberté, pour le pain, pour la paix ». Dans leurs dos, se préparaient les manœuvres qui allaient mener le PCF à embrasser la défense nationale.
C’est sans commentaire, et en caractères gras, sous le titre « Salut à l’Armée », que l’Humanité reproduit en première page la déclaration de Marc Rucart, député radical-socialiste, aux Assises de la Paix et de la Liberté qui s’étaient tenues le 14 juillet au stade Buffalo, au nom de diverses organisations d’Anciens combattants, et de partis dont le PCF. Le texte se conclut par : « Dans cette journée du 14 juillet, ils saluent, dans les armées de terre, de mer et de l’air – officiers, sous-officiers, soldats et marins – les forces nationales constituées pour la défense de la liberté. »
Et dans le même numéro, le texte d’une affiche du Parti communiste interpelant le colonel de La Rocque joue, oh, discrètement, sur la corde de l’anti-germanisme.
Le 23 juillet, parlant à une assemblée d’information des communistes parisiens, Duclos, après avoir, comme de bien entendu, attaqué « la secte des trotskystes qui s’intitulent ‘bolcheviks-léninistes’ » et avant de « saluer l’initiative de Marc Rucart » et de la lire, déclare :
« Il ne s’agit pas aujourd’hui pour nous de proposer le programme que seul pourra réaliser le pouvoir des Soviets et qui comporte l’expropriation sans indemnités des grandes capitalistes (sic).
Nous entendons simplement défendre, dans le cadre du régime capitaliste, un certain nombre de mesures favorables au peuple … »
L’histoire ayant bon dos, un article commémorant les journées de juillet 1830 sert de prétexte pour mettre en avant le drapeau tricolore… Puis, commémoration encore, celle de Engels (mort un 5 août), Jaurès (assassiné le 31 juillet 14) et Guesde (mort un 28 juillet), Paul Vaillant-Couturier enfonce le clou : « Les polémiques auxquelles a donné lieu le fameux communiqué de Staline, lors de son entrevue avec Laval, ont montré qu’il était certaines notions familières au réalisme bolchevik qui encore besoin d’être largement expliquées à certains éléments encore sous l’emprise du pacifisme vulgaire… »
Devant le VIIe Congrès de l’Internationale communiste réuni à Moscou, Thorez martèle : «Nous n’abandonnons pas aux ennemis le drapeau tricolore de la Révolution. Nous n’abandonnons pas la Marseillaise, chant des soldats de la Convention. »
(à suivre)