Échanges de lettres de 1931 entre Rosmer et Trotsky sur la question du parti
Les trois textes qui suivent, s’ils ne sont pas méconnus des historiens, n’ont pas, à notre connaissance, encore été publiés. Ils sont extraits des archives de Mougeot, militant de l’Opposition de gauche de Longwy (déposées au Musée social). Ils donnent un éclairage sur la rupture Trotsky/Rosmer, relativisant la dimension politique du désaccord sur la question syndicale. Le ressort de l’attitude de Rosmer est le parti, son mode d’organisation et son style de direction.
Dans une lettre de Marguerite Rosmer à Mougeot, du 24 juillet 1929, à propos de la Vérité, elle écrit : « on va recommencer cet hebdomadaire en l’ouvrant largement à tous ceux qui sont oppositionnels, c’est-à-dire à combattre la bolchévisation avec énergie (…) On va essayer de recommencer proprement, sans hypocrisie, sans mensonge et il faut bien que les honnêtes hommes nous aident. »
Dans une lettre de la même à Trotsky, du 16 avril 1929, faisant allusion à la constitution en 1926, en URSS, de l’Opposition unifiée par la fusion de l’Opposition de gauche avec celle de Zinoviev et Kamenev, on lit : « Ne nous obligez pas à repartir avec ceux-là car les quelques mois que leur activité désordonnée nous fera peut-être gagner en apparence, nous les paierons encore par des années de recul quand il faudra travailler uniquement pour les rejeter hors du parti. »
Dans ce cadre, il est troublant de constater que le départ des Rosmer de la Ligue communiste internationale (LCI) coïncide avec l’entrée de Treint, qui en 1924, déclencha la purge contre Rosmer, Monatte et le « trotskysme » dénoncés comme agents de la « droite internationale » à la direction de la Ligue communiste en France et de Ruth Fischer à celle de la LCI. Une fois encore se posait la question de la nature du parti et de son rapport à la classe.
Emile Fabrol
Alfred Rosmer, à la fédération de Charleroi de l’Opposition communiste belge (juin 1931)
Pourquoi ai-je renoncé au travail actif dans la Ligue communiste ? Tu peux bien penser que ce n’est qu’après mûre réflexion, et pour des raisons très sérieuses que j’ai pris une décision susceptible d’avoir une influence sur le développement de notre Opposition mais qui, était pour moi grave et bien pénible.
J’étais complètement identifié avec la Ligue et avec son journal la Vérité. Je travaillais en plein accord et en liaison étroite avec le camarade Trotsky – collaboration qui tu sais, a commencé en décembre 1914, dès l’arrivée de notre camarade à Paris et notre prise de contact avec lui. Nul ne peut apprécier mieux que moi la valeur tout à fait exceptionnelle de l’aide qu’il peut apporter à un mouvement. Renoncer à tout cela était pour moi un vrai déchirement.
L’histoire des difficultés intérieures de notre Ligue communiste est maintenant assez longue et assez compliquée. Je puis cependant vous la résumer brièvement ; il me suffira d’en indiquer la cause initiale.
Il ne s’agit pas en effet de divergences politiques (bien qu’on ait tenté d’en créer artificiellement par la suite) non plus de griefs personnels. Il s’agit essentiellement du régime intérieur de la Ligue communiste. Les questions touchant le régime intérieur d’une organisation ne sont pas tout. Mais elles ont leur importance et leur signification. Ce sont elles qu’on trouve au point de départ de l’Opposition en Russie, ainsi que le montre Cours nouveau du camarade Trotsky.
Or, après plusieurs mois de travail difficile mais effectué dans une atmosphère de bonne camaraderie, où chacun travaillait de son mieux et donnait tout son effort au travail collectif, j’ai vu se former au sein de la Ligue un petit foyer malsain (petites intrigues, petites manœuvres, petite fraction, qui me rappelait trait pour trait, les débuts du triste zinovièvisme en France) et il était pour moi tout à fait clair que si on ne l’anéantissait pas tout de suite il finirait fatalement par empoisonner toute la Ligue. J’étais persuadé également qu’il me suffirait de signaler le fait au camarade Trotsky, pour avoir son plein assentiment. Or, tout au contraire, nous ne parvînmes pas à nous mettre d’accord sur la situation et sur les mesures qu’elle commandait. Nous aurions pu parfaitement nous-mêmes en France, avec nos propres forces, régler l’affaire, mais le fait que Trotsky, était là-dessus d’un avis différent du nôtre venait tout aggraver.
La question se posait ainsi : il y a dans la Ligue un homme, Molinier, qui peut devenir un élément très dangereux. Il n’est ni un ouvrier, ni un intellectuel. Il a des aptitudes certaines, mais qui s’exercent dans des domaines totalement étrangers au communisme. Par suite, son activité, si elle se soustrait à notre contrôle, peut avoir pour la Ligue, et pour tout notre travail les pires conséquences. Nous avons accepté de travailler avec lui. Nous voulons bien le garder parmi nous mais c’est à la condition formelle que toute son activité sera rigoureusement soumise à notre contrôle. Le camarade Trotsky trouve cette exigence inadmissible. C’est alors que je décidai de ma retirer. Je ne voulais pas entrer en lutte ouverte sur ce point avec le camarade Trotsky ; j’étais soucieux d’éviter toute manifestation publique de notre désaccord qui aurait pu nuire au développement de l’Opposition mais en même temps je ne voulais pas assumer la responsabilité des lourdes fautes qu’un tel régime ne pouvait manquer d’engendrer. Je ne pouvais couvrir, dans la Ligue, un régime que j’avais autrefois dénoncé dans le parti et dans l’IC.
J’étais d’ailleurs convaincu que les événements se chargeraient de justifier promptement mon point de vue et qu’ainsi l’évidence s’imposerait rapidement aux yeux de tous, après un minimum de dégâts. Malheureusement il n’en fut pas ainsi. Le camarade Trotsky persista dans la position qu’il avait prise. Fort de cet appui, Molinier put se livrer à toutes sortes d’extravagances, souvent bouffonnes mais toujours néfastes, et le résultat, c’est l’état de crise chronique dans lequel la Ligue se débat depuis des mois et qui revêt aujourd’hui un caractère d’extrême gravité.
Dans notre Ligue communiste, le désastre est complet. Tout le capital politique que nous avions lentement amassé, l’influence certaine que nous avions acquise au prix de durs efforts, ont été entièrement dilapidés. Les dirigeants du Parti communiste qui nous craignaient et ceux de l’IC qui étaient contraints d’enregistrer nos succès, s’amusent maintenant de ce qu’ils appellent notre décomposition.
Il serait puéril de nier la gravité de la situation. Nous ne devons pas, sur ce point non plus, imiter les staliniens qui refusent de regarder les faits en face et qui prétendant voir dans chaque crise qui ravage le Parti un renforcement certain.
Notre Ligue est brisée en plusieurs morceaux. Des camarades l’ont quittée formellement et parmi eux un groupe formé qui publie un bulletin ; d’autres, les meilleurs sont découragés. Ils ne comprennent pas, la confusion est complète dans la Ligue et partout. C’est ainsi que vous attribuez au camarade Landau la responsabilité de vos difficultés dans vos rapports avec Paris et l’irrégularité avec laquelle vous parvient maintenant la Vérité. Mais je puis vous assurer que le camarade Landau n’est absolument pour rien dans ce sabotage, qui est uniquement le faits « des méthodes d’organisation » du clan Molinier, lequel sabote le travail dans tous les domaines, à tel point qu’on peut dire qu’un agent stalinien dans nos rangs n’aurait pu réussir à nous faire plus de mal.
Tandis que la crise intérieure absorbe l’activité de nos camarades notre action positive est paralysée. Nous aurions pu et dû jouer, dans cette première phase de la révolution espagnole, un rôle capital, car tout nous était favorable ; enthousiasme révolutionnaire des masses ouvrières et paysannes, discrédit des chefs staliniens sans troupes et incapacité des chefs anarcho-syndicalistes, qui ont des dizaines de milliers d’ouvriers derrière eux, mais qui, si on les laisse faire conduiront la classe ouvrière à une nouvelle défaite. Pour cela, il aurait fallu continuer d’aider nos camarades espagnols ainsi que nous l’avions fait dès le début, lors de la chute de Primo de Rivera, travailler étroitement en liaison avec eux. Nous aurions aujourd’hui en Espagne une Opposition de gauche déjà solidement liée aux masses ouvrières et autour de laquelle se rassembleraient progressivement tous les bons éléments communistes et syndicalistes instruits par l’expérience.
La situation est grave, mais non désespérée. Quelque soit la tristesse que j’éprouve en voyant à quel point on a pu anéantir le fruit de notre patient travail, je garde la conviction que cette situation s’éclaircira et se nettoiera, que tous les éléments sains de la Ligue finiront par se retrouver et qu’ils reprendront, avec une ardeur nouvelle le travail commun. La tâche sera seulement encore un peu plus difficile et un temps précieux aura été perdu.
Léon Trotsky à la fédération de Charleroi (28 juin 1931)
Chers camarades
Je m’empresse de vous répondre aux questions que vous ma posez dans votre lettre du 19 juin.
1°) Le SI vous a répondu qu’il ne connaissait pas les raisons pour lesquelles le camarade Rosmer a interrompu son activité dans le mouvement révolutionnaire. Vous croyez que c’était invraisemblable. Je comprends fort bien votre étonnement. Néanmoins, les raisons du départ du camarade Rosmer de la Ligue me sont également restées obscures. Sa dernière lettre qu’il vous a envoyée donne aussi très peu de matériaux pour en tirer des conclusions plus ou moins politiques.
2°) Je dois remarquer avec regret que la partie de la lettre du camarade Rosmer qui parle de mon attitude dans les conflits intérieurs de la Logue donne une idée fausse de ce qui s’est passé en réalité. D’après la description du camarade Rosmer mon intervention aurait empêché le camarade Rosmer d’éloigner de la Ligue ou de neutraliser le camarade R. Molinier en tête. Puisqu’aucune divergence politique, selon le camarade Rosmer, n’est apparue, il devient tout à fait incompréhensible pourquoi je me suis mêlé de l’affaire et pourquoi j’ai soutenu le camarade Molinier contre le camarade Rosmer. Tout cela est absolument inexact du commencement à la fin.
Le camarade Rosmer a oubliè de vous dire qu’il est resté un certain temps chez moi avec Molinier. Le camarade Molinier a produit sur nous deux ainsi que sur la camarade Marguerite Rosmer, une excellente impression par son dévouement à la cause, par son énergie, par son caractère entreprenant, par son abnégation. Déjà, à l’époque nous savions que toutes sortes de ragots étaient répandus sur le compte du camarade Molinier, dont une des causes est le caractère turbulent du camarade Molinier et sa capacité de manquer à toutes les règles et superstitions des philistins. Ensemble, avec le camarade Rosmer et la camarade Marguerite Rosmer, nous avons décidé de nous opposer catégoriquement à tous ces ragots et insinuations. C’est dans ce sens, que j’ai écrit une lettre aux camarades de Paris sur l’initiative du camarade Gourget, qui donnait toujours une bonne attestation du camarade Molinier en le qualifiant de véritable révolutionnaire et d’excélent camarade.
Aprsè le départ du camarade Rosmer à Paris, il m’écrivait plus d’une fois non seulement son éloge, mais avec admiration sur le travail de Molinier. On trouvait dans ses lettres comme dans les lettres de la camarade Marguerite, des phrases comme : « si nous avions deux comme Raymond, nous avancerions beaucoup plus vite ».
Au bout de quelques mois les lettres du camarade Rosmer commençaient à faire allusion aux frictions et aux conflits surgis entre Molinier et Naville ; mais le camarade Rosmer ne disait jamais qui, d’après lui, portait la responsabilité de ces conflits.
Ensuite j’ai reçu deux lettres : une du camarade Rosmer et l’autre des camarades Naville, Gérard et Gourget – toutes deux contre Molinier. De ces lettres, j’ai appris pour la première fois que les camarades Rosmer et Naville ont fait une tentative de priver le camarade Molinier du droit d’occuper aucun poste dans la Ligue et même, comme cela transperçait à travers les lettres, de l’exclure de la Ligue. Ils ont mis cette proposition devant la région parisienne et la région parisienne s’est prononcée contre les initiateurs de la proposition d’enlever de ses fonctions de secrétaire de la région parisienne le camarade Molinier, c’est-à-dire contre Rosmer et Naville. Ce n’est qu’après qu’ils se sont adressés à moi pour me demander mon concours contre Molinier.
De là, vous voyez que sans aucune participation de ma part même à mon insu, l’organisation parisienne rejeta les exigences des camarades Rosmer et Naville et autres et prit la défense du camarade Molinier.
Il faut ajouter à cela que durant tout le temps précédent j’étais en correspondance permanente avec Rosmer et Naville ; mais sans avoir aucun échange de lettres avec Molinier. Toutes lettres et documents qui se rapportent à cette période se trouvent dans mes archives et je les mettrai volontiers à la disposition de n’importe quel groupe de camarades dignes de confiance.
Comment Rosmer et Naville et autres motivaient leurs exigences de représailles contre Molinier ? Ils disaient que Molinier se « mêlait » de question où il ne « comprenait rien » : qu’il faisait des propositions en dépit du bon sens, etc. A cela, je répondis que s’il s’agissait de divergences politiques je pourrais intervenir ; c’est pourquoi je demandais de me dire quelles sont précisément les propositions que faisait Molinier. En même temps, j’ai fait remarquer à Naville qu’il était absolument inadmissible de diviser les camarades en deux catégories, dont une peut se mêler de toutes les questions et l’autre n’est bonne que pour le travail technique. Comme dans beaucoup d’autres cas Naville a fait montre ici d’une incompréhension totale de l’esprit d’une organisation révolutionnaire prolétarienne, dont tous les membres ont non seulement le droit, mais l’obligation de se mêler activement de toutes les questions à partir des plus petites et celles d’ordre technique, jusqu’aux questions les plus complexes de la politique révolutionnaire.
Ce n’est qu’après cela que j’ai compris le caractère des divergences qui opposaient à chaque instant le camarade Molinier au camarade Naville ; le camarade Rosmer, sans se prononcer sur le fond des conflits, soutenait effectivement le camarade Naville. Ces divergences portaient sur notre attitude envers le Parti, envers les syndicats, envers l’Opposition de gauche, et enfin, sur les méthodes et le caractère du travail de la Ligue même. Des lettres, des documents et des conversations privées avec les camarades des deux groupes ; j’ai gagné une impression et même une certitude que dans toutes les questions fondamentales le camarade Molinier était beaucoup plus très de la politique révolutionnaire que le camarade Naville. Ces divergences avaient un caractère non personnel, mais principiel et coïncidaient dans beaucoup de points avec les divergences entre Charleroi et Van Overstaeten, avec cette différence que le camarade Naville n’a jamais formulé ses opinions avec autant de franchise que Van Overstaeten.
A cela je dois ajouter que, pour justifier son exigence de mesures exceptionnelles contre Molinier, le camarade Rosmer a cru possible de se référer aussi aux bruits malveillants que nous connaissions tous deux depuis longtemps et que nous considérions pas dignes d’attention. Cet argument, du camarade Rosmer produisit sur moi la plus pénible impression. Je lui ai répondu dans ce sens que s’il attribue une importance quelconque aux anciennes ou nouvelles insinuations, il doit exiger une commission de contrôle composée des camarades sûrs et impartiaux pour juger toute la question dans son ensemble. Quel autre moyen peut-on proposer dans une organisation révolutionnaire ?
Vous savez très bien qu’après votre propre expérience avec quelle difficulté je me suis décidé à la rupture avec Van Overstraeten, malgré que vous y avez insisté (et avec raison). Je considérais comme mon devoir d’épuiser tous les moyens pour trouver une possibilité de collaboration. De même j’ai agit par rapport aux divergences françaises. Puisque les camarades Naville et Rosmer m’ont proposé d’intervenir dans le conflit, j’ai décidé d’accord avec les deux parties de faire une tentative de séparer les faits personnels de la question principielle, d’atténuer les frictions et de créer des conditions normales pour la discussion des questions litigieuses. N’ayant pas la possibilité de me rendre en France, j’ai invité chez moi les camarades Molinier et Naville, j’ai passé avec eux plusieurs jours pour discuter de toutes les questions litigieuses et nous avons élaboré à l’unanimité (avec la participation des camarades Mill, Frankel et Markine) certaines décisions que nous avons appelées en plaisantant « la paix de Prinkipo ». Ces décisions prévoyaient la création d’une commission de contrôle pour juger toutes les accusations d’ordre personnel. Du reste, ces décisions de Prinkopo doivent être connues de vus (de toute façon, je demanderai qu’on vous les envoie). A la réunion plénière de la Ligue ces décisions furent adoptées à l’unanimité, mais le camarade Rosmer n’est même pas venu à la réunion et continua à boycotter la Ligue sans expliquer, même à moi, les véritables raisons de son attitude.
Les conditions de la « paix de Prinkipo » furent violées d’une façon déloyale par le camarade Naville. Le camarade Rosmer a cru possible de continuer à faire des caractéristiques inadmissibles du camarade Molinier, sans s’adresser à la commission de contrôle. Une telle sorte de caractéristiques qui parlent de tout et ne disent rien, qui font allusion, qui sont équivoques, qui compromettent sans formuler directement ; l’accusation trouva son expression dans la triste lettre dont vous m’avez communiqué la copie. Une telle façon d’agir est, d’après moi, contraire aux principes d’une organisation prolétarienne. Tels sont les faits.
3°) Quelques mots en ce qui concerne le côté principiel. Rosmer et Naville dirigèrent la Ligue pendant toute la première année. Dans les questions les plus générales ils développaient ou permettaient aux autres de développer dans la Vérité les idées de l’Opposition de gauche mais Van Overstaeten, Urbams et Landau ont fait la même chose. La vérification commençait dans les questions purement françaises où l’on devait prendre une position de combat. Ici le camarade Rosmer n’a jamais adopté une position claire surtout dans la question syndicale, et il soutenait en même temps la politique fausse de Gourget-Naville dans le domaine syndical. Mes lettres au camarade Rosmer, dans lesquelles je démontrais le danger énorme de cette politique,datent des premiers de la parution de la Vérité. Le camarade Rosmer ne m’a jamais donné une réponse claire. Je ne posais pas ces questions ouvertement dans la presse ou devant l’organisation parce que j’avais l’espoir d’aboutir aux résultats favorables par la voie de la correspondance et d’entretiens privés. Si le camarade Rosmer nie les divergences de principes et même s’il soutient qu’elles sont inventées après coup (par qui?) cela ne peut que démontrer avec combien peu d’attention le camarade Rosmer aborde les problèmes fondamentaux de la Révolution prolétarienne. On ne peut garder une sensibilité indispensable aux questions révolutionnaires qu’en assurant une liaison ininterrompue avec le mouvement révolutionnaire. Le camarade Rosmer croit possible de s’éloigner du mouvement à cause des conflits même d’ordre personnel pour des mois et des années. Quoi d’étonnant qu’avec une telle attitude envers le mouvement tout entier nos divergences principielles lui paraissent secondaires ou même inexistantes ?
Encore une question – la dernière – le camarade Rosmer parle des méthodes « zinovièvistes ». Que veut-il dire par cela ? Il faut cesser de jouer avec les mots et semer la confusion. D’où sont-elles venues les « méthodes zinovièvistes » ? Elles sont venues du changement brusque de politique. Quand les épigones ont commencé, sous la pression des éléments nouveaux et des circonstances nouvelles à briser la tradition du Parti, ils ne pouvaient pas s’appuyer sur l’opinion commune de l’avant-garde prolétarienne, au contraire, ils agissaient contre cette avant-garde. L’essence des « méthodes zinovièvistes » consistait dans le fait que l’appareil bureaucratique imposait aux larges masses ouvrières une politique contraire aux traditions et aux intérêts du prolétariat par la violence contre l’avant-garde prolétarienne et par le mensonge. Les méthodes découlaient donc entièrement de la politique. Que signifient les « méthodes zinovièvistes » dans le cas présent ? Contre quelle avant-garde prolétarienne menons nous la bataille ? Quelle aile révolutionnaire écrasons-nous ou évinçons-nous au nom de quelle politique opportuniste ? Il faut bien peser ses mots. Sous les méthodes zinovièvistes on comprend souvent aujourd’hui tout ce qui cause des ennuis personnels ou qui ne donne pas satisfaction aux goûts de chacun.
En réalité, la chose est tout autre. Des éléments les plus disparates y compris, ceux qui n’avaient rien de commun avec nos idées, se sont ralliés en Europe occidentale depuis 1923 à l’Opposition. Des individus du genre Paz acceptaient avec générosité d’être ou de se considérer comme des communistes de gauche, des révolutionnaires extrêmes, mais à condition qu’on ne leur demande rien et que la révolution prolétarienne n’empêche pas leur digestion. En France, est très répandue cette sorte de cercle où on se réunit une fois par semaine, on s’entretient de toutes choses, on se sépare sans rien décider, ont fait paraître une fois par mois une petite revue dans laquelle chacun écrit ce qui lui vient dans la tête. Le meilleur de ces cercles d’avant guerre fut celui de Monatte. Mais son esprit, ses habitudes, ses moyens de travail et ses méthodes de pensée furent aussi infiniment loin d’une organisation prolétarienne, fut-ce une organisation petite et faible, mais décidée à se mettre à la tête des masses. Le cercle de Souvarine d’une part et celui de Naville d’autre part sont de nouveaux échantillons de cette même espèce ; quelques amis personnels discutent les questions de la révolution et font publier leurs articles. Voilà tout. Ces mœurs ont été importées sans doute dans la Ligue. Et quand les éléments les plus actifs, plus révolutionnaires commencèrent à poser les questions d’une autre manière alors, on commença de les traiter de troublions, d’ennemis de la paix, de désorganisateurs, etc.
Le camarade Rosmer n’a raison ni du point de vue principiel, ni du point de vue politique, non plus du point de vue d’organisation. Je n’avais aucune raison de me prononcer sur le camarade Rosmer dans la mesure où il s’était mis simplement en dehors de tout travail. Mais aujourd’hui, le camarade Rosmer est devenu en réalité le drapeau de tous les éléments qui mènent une lutte contre nos idées fondamentales et qui, jusqu’à maintenant, compromettaient les idées de l’Opposition de gauche beaucoup plus qu’ils ne les propageaient. Une tentative de créer un bloc se fait sous nos yeux ; un bloc des bordigistes, de Landau, de Naville, de Van Overstaeten et même Snevlitt et d’Urbahms et tous ces éléments essayent d’une telle ou d’une autre manière, se couvrir du nom de Rosmer. On ne peut pas s’imaginer quelque chose de plus ridicule, de plus caricatural et de plus indigne que ce bloc. Donner son nom à ce bloc c’est se discréditer à jamais. Malgré que plusieurs dizaines de mes lettres sont restées sans résultats, je vais espérer quand même que le camarade Rosmer ne donnera pas son nom à ce bloc indigne condamné d’avance à un échec pitoyable. Toutefois, je ferai tout mon possible pour rétablir de nouveau la possibilité d’un travail commun ; je ferai tout, sauf la renonciation aux principes qui se trouvent à la base de l’activité des bochèviks-léninistes.
Avec mes salutations communistes.
PS. Pour éviter tout malentendu, je dois remarquer ce qui est évident de soi-même ; je ne prenais pas et ne prends nullement la responsabilité de tous les actes politiques du camarade Molinier avec lequel j’avais plus d’une fois des divergences dans l’appréciation des questions pratiques sérieuses. Dans le cas où il me semblait que la camarade Molinier faisait de graves erreurs je le lui disais et aux autres camarades. De telles divergences sont tout à fait inévitables dans le travail commun. Aucune solidarité de principe ne peut garantir la coïncidence des points de vue dans toutes les questions de tactique et d’organisation. Quant aux divergences avec le groupe Naville, elles avaient toujours dans le fond un caractère de principe. En ce qui le camarade Rosmer il était toujours comme je l’ai dit très évasif dans les questions principielles, mais il soutenait et soutient encore Naville et Landau et les autres.
Alfred Rosmer à la fédération de Charleroi (22 juillet 1931)
Camarades,
J’ai lu la lettre que le camarades Trotsky vous a écrite le 28 juin et dont vous m’avez envoyé copie. La conclusion qu’on en devrait tirer, c’est que la Ligue communiste a maintenant une direction excellente, que la direction antérieure s’était trompée à peu près sur toutes les questions, que par la suite tout est pour le mieux dans la meilleure des Oppositions
Mais alors pourquoi un groupe de camarades s’est-il retiré de la Ligue et publie-t-il un Bulletin ? Pourquoi un groupe de tout entier, celui de Tours, s’est-il aussi mis à l’écart et a-t-il rompu avec le centre dirigeant ? Pourquoi le camarade Touraud, secrétaire du groupe de Moulins, ancien secrétaire de l’Union locale unitaire de Moulins, secrétaire des fondeurs de l’Allier, a-t-il donné sa démission ? Pourquoi des camarades isolés s’adressent-ils directement au camarade Trotsky pour appeler son attention sur les changements, selon eux funestes qui se sont produits dans la Ligue et la mettent en danger ? Pourquoi, autour de la Ligue, cette atmosphère lourde et trouble qui inquiète et alarme ? Pourquoi les camarades de Tours motivent-ils ainsi la grave décision qu’ils ont prises :
« La crise actuelle de la Ligue qui provoque la réunion d’aujourd’hui était facile à prévoir. Elle est la conséquence des méthodes importées par la direction actuelle et qui n’ont rien à envier au stalinisme. Le camarade Bernard, dans une de ses lettres, s’est déjà élevé contre la façon dont la direction actuelle s’est donné le pouvoir. Il y avait là des indices certains sur la manière dont elle le conserverait. Elle l’a utilisé pour conduire la Ligue à une politique désastreuse : citons le 25 février, la grève des mineurs, l’unité syndicale ; son bilan est purement négatif : liquidation de l’Opposition unitaire, effritement de la Ligue. Le groupe de Tours considère que la solution de la crise ne peut être recherchée qu’autant que la conférence de dimanche changera radicalement la direction actuelle et désignera une direction qui proposera l’organisation d’une conférence nationale qu’elle tentera de tenir en commun avec le groupe qui s’est récemment séparé de la Ligue. Si la Ligue ne s’engage pas dans cette voie, elle sombrera rapidement. En ce qui le concerne, le groupe de Tours considère que tout travail est impossible avec la direction actuelle. »
Est-ce que tout cela indique un bon état de santé, de développement, de renforcement, de vigoureuse marche en avant ? Ou un alarmant état de crise ? C’est la question qui domine toutes les autres et le camarade Trotsky, dans sa longue lettre, n’en dit rien. Pour moi, cette crise était inévitable et sa cause est évidente. Je l’ai dit il y a maintenant une année. Les faits qui se sont passés depuis lors permettent à chacun de voir quel est le point de vue qu’ils ont confirmé.
Le camarade Trotsky m’accuse d’avoir repoussé la « paix de Prinkipo », de formuler des « caractéristiques inadmissibles » concernant Molinier, de faire des allusions équivoques. Que vous ai-je donc écrit à ce sujet ? Je recopie le passage de ma lettre : « Molinier n’est ni un ouvrier ni un intellectuel. Il a des aptitudes certaines mais qui s’exercent dans des domaines totalement étrangers au communisme. » Est-ce qu’il y a là quoi que ce soit d’inadmissible ou d’équivoque. Molinier est-il un ouvrier, un intellectuel ? Non, c’est un homme d’affaires qui réussit brillamment, mais les affaires ne constituent pas un des domaines du communisme. Voilà ce que j’ai dit. C’est parfaitement clair. C’est vrai. Pourquoi ne faudrait-il pas le dire ? Si un camarade m’interroge sur Molinier, dois-je mentir sous prétexte qu’il y a une « paix de Prinkipo » ? A-t-on jamais vu une organisation révolutionnaire dirigée par un homme qu’il faudrait constamment couvrir pudiquement d’un manteau de Noé ?
Les caractéristiques personnelles des dirigeants d’un groupement ont leur valeur et leur sens ; elles ne peuvent pas être dissimulées ; elles font partie du capital du groupement et constituent normalement un actif appréciable. Quand Lénine, dans un document de suprême importance, dit de Staline qu’il est brutal et déloyal, non seulement il donne ainsi une caractéristique personnelle mais il en tire aussitôt une conséquence politique : c’est qu’il faut retirer Staline du secrétariat du Parti. Dans sa lutte contre Staline et les staliniens, le camarade Trotsky a souvent rappelé cette caractéristique personnelle et nous trouvons tous qu’il a eu pleinement raison de la faire. Pourtant Lénine avait travaillé avec Staline pendant des années et c’est avec son assentiment qu’on l’avait mis au secrétariat du Parti : il faut tenir compte des circonstances.
Était-ce là quelque chose de nouveau de ma part et n’avais-je jamais parlé auparavant de ces choses au camarade Trotsky ? Bien au contraire, je lui ai maintes fois écrit à ce sujet, rappelant que la question du rôle des hommes comme Molinier dans les organisations révolutionnaires s’est toujours posée et qu’il a fallu y répondre. Le camarade Trotsky a riposté en disant que Engels aussi réussissait dans les affaires. A quoi j’ai répondu que la comparaison était très flatteuse pour Molinier mais que, malheureusement, Molinier n’était Engels en rien, qu’il était politiquement un illettré n’ayant jamais lu une ligne de Marx, et que même pour les affaires la comparaison n’était pas valable : l’idée ne serait venue à personne de traiter Engels de Robert Macaire (1), caractéristique appliquée publiquement à Molinier par un membre de l’Opposition qui le connaît beaucoup mieux que moi.
Le camarade Trotsky m’accuse encore de « jouer avec les mots » et de « semer la confusion » parce que j’ai mentionné les méthodes zinovièvistes. Comment l’ai-je fait ? Je vous ai parlé de « petites intrigues, petites manœuvres, petite fraction » que je voyais se développer au sein de la Ligue « qui me rappelaient trait pour trait les débuts du triste zinovièvisme en France. » Je suis sûr que tous ceux d’entre vous qui étaient à Paris en 1924, que tout camarade d’une section quelconque de l’IC qui a connu ce temps, ont parfaitement compris ce que je voulais dire.
Le zinovièvisme s’est manifesté dans l’IC dès le début de la lutte engagée contre l’Opposition russe, quand Zinoviev a exigé des sections de l’IC qu’elles condamnent brutalement l’Opposition russe. Je rappellerai ce qui s’est passé en France. Nous avons fait voter par le CC une résolution signalant le danger d’une lutte fratricide au sein du PCR et disant que les camarades qui avaient jusqu’alors travaillé ensemble, groupés autour de Lénine, devaient persévérer dans leur étroite collaboration au lendemain de la disparition de Lénine. Nous avions très clairement vu l’immense danger que créeraient des luttes intestines et où cela conduirait. Il se trouvait qu’agissant ainsi nous nous conformions à l’esprit même du testament de Lénine que nous devions connaître que beaucoup plus tard. Notre texte avait été approuvé par la quasi-unanimité du CC. Avaient seuls voté contre Treint et Suzanne Girault par « intrigues », « manœuvres », « fraction », le CC régulièrement nommé par le congrès du Parti qui venait d’avoir lieu fut remplacé par un organisme occulte, la démocratie dans le Parti fut bafouée et la direction passa aux mains de la clique Treint-Girault. Voilà ce que j’entends par les débuts du zinovièvisme en France et je suis sûr, je le répète, que tous ceux qui ont vécu cette période de la vie de l’IC le comprendront comme moi. Molinier a repris à son compte les « manœuvres, intrigues, fraction » de Treint et le camarade Trotsky, en lui donnant ostensiblement son appui, lui a permis de se hisser à la direction de la Ligue et de s’y maintenir contre la volonté certaine de l’immense majorité des camarades de la Ligue. Est-ce par pur hasard qu’on a vu apparaître ces derniers temps le nom du camarade treint dans l’activité de la Ligue, de ce héros de la funeste « bolchévisation» qui ne s’est découvert des sympathies pour l’Opposition que le jour où le clan zinovièviste a été supplanté à la direction par le clan stalinien ? Si c’est par hasard, il faut reconnaître que le hasard fait des choses étonnantes.
Pour briser dans l’oeuf cette résurrection du zinovièvisme au sein de la Ligue, j’ai demandé que Molinier soit écarté du poste de secrétaire du groupe de la région parisienne. Cela et rien d’autre ? C’est là-dessus qu’une discussion s’est engagée et c’est là-dessus que j’ai été battu. « A une majorité écrasante » écrit la camarade Trotsky. Non, elle n’était pas du tout écrasante, elle l’était infiniment moins que les majorités qui ont condamné l’Opposition au sein du PCR. Mais pour moi, la signification et la conclusion de la discussion n’était pas dans le vote. Molinier avait soigneusement « préparé » la réunion et le résultat m’était connu d’avance. Si Molinier qui jusque-là n’avait naturellement joué qu’un rôle politique très effacé au sein de la Ligue, s’engageait à fond dans l’attaque brusquée qu’il avait déclenchée contre la direction, cela voulait dire qu’il s’était assuré au préalable l’appui du camarade Trotsky et peut-être même ses encouragements. Dans de telles conditions, le travail dans la Ligue n’était pour moi plus possible. Je l’avais déclaré au cours de la discussion. Mais il s’agissait d’une position individuelle et je ne demandais à personne de m’imiter. Bien au contraire, je demandais à mes amis de demeurer au travail comme auparavant.
Je n’ignorais pas que mon attitude serait difficilement comprise, qu’on me reprocherait de m’éloigner du travail. Ce reproche, on me l’a fait plus d’une fois, comme à votre tour vous me le faites quand vous me dites que « même si j’avais raison à cent pour cent je n’aurais pas dû abandonner le travail, mais au contraire lutter au sein de la Ligue contre ce que je considérais être un danger et résoudre le conflit par les voies régulières de l’organisation. » Je vais essayer de vous l’expliquer.
D’abord, en ce qui concerne les « voies régulières de l’organisation » je vous demande de lire attentivement la résolution des camarades de Tours. Vous constatez qu’il n’y a plus de « voies régulières. » Il y a le clan Molinier qui, fort de l’appui, patent pour tous, du camarade Trotsky, dirige seul, se servant en outre des moyens matériels exceptionnels dont Molinier dispose. Quand un vote le gène, il n’en tient pas compte : c’est tout. Ensuite, j’étais persuadé que le camarade Trotsky se rendrait compte rapidement de l’impossibilité d’une direction Molinier, je pouvais donc, personnellement, adopter une position d’attente qui ne devait être que de courte durée. S’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, je rappellerai ici que l’Opposition russe a adopté parfois une telle attitude. Je dois reconnaître que je me suis, sur ce point, complètement trompé. Non seulement la situation impossible a duré mais elle est allée sans cesse s’aggravant. A la stupeur des membres de la Ligue, le camarade Trotsky a maintenu et accepté l’appui qu’il donnait à Molinier.
Peut-être trouverez-vous excessif le rôle que j’attribue au camarade Trotsky dans les affaires intérieures de la Ligue communiste. Lui-même dit et dira qu’il n’a jamais appuyé tel ou tel qu’il n’est intervenu qu’en conciliateur. Mais interrogez un membre quelconque de la Ligue, il vous dira que, politiquement, Molinier n’existe que parce que le camarade Trotsky le veut, et qu’on ne peut pas songer à se débarrasser de la direction Molinier parce qu’alors il faudrait entrer en lutte contre le camarade Trotsly.
Nos difficultés intérieures ont un point de départ parfaitement connu ; elles ont commencé le jour où j’ai proposé et fait élire une commission exécutive dont Molinier ne faisait pas partie. J’estime en effet qu’un homme comme Molinier n’est pas qualifié pour entrer dans la direction d’une organisation communiste, à cause justement de ses caractéristiques personnelles. Il peut être utilisé et il peut rendre des services – ce qu’en effet j’ai reconnu à l’occasion et dont le camarade Trotsky fait grand état contre moi, bien que cela ne soit nullement contradictoire avec mon attitude en général dans cette affaire – mais à la condition absolue qu’il ne prétende pas à une action personnelle, encore moins à un rôle de direction pour lequel il est complètement disqualifié par son ignorance et par sa déformation professionnelle qui l’amène à se comporter dans la Ligue comme il le fait en affaires. (2)
Ainsi qu’il était inévitable, la crise a débordé l’organisation française et a gagné l’Opposition internationale, d’autant plus que – chose pour moi inconcevable – Molinier a été chargé ou s’est chargé lui-même – de missions auprès de divers groupes d’Opposition hors de France. Et c’est à ce propos que le camarade Trotsky écrit que je sers de drapeau à « tous les éléments qui mènent une lutte contre nos idées fondamentales », que je favorise la création d’un bloc comprenant « les bordighistes, Landau, Naville, Van Overstaeten et même Sneevliet et Urbahns. » Or, depuis que je me suis éloigné de la Ligue, j’ai gardé systématiquement une réserve absolue, je n’ai eu aucun rapport d’aucune sorte ni avec les bordighistes, ni avec Van Overstaeten, ni avec Sneeliet, ni avec Urbahns. J’ai écrit à Landau uniquement pour lui indiquer, pour son information personnelle, les raisons de mon éloignement sur lesquelles il me questionnait comme vous l’avez fait vous-mêmes. Quant au camarade Naville, il est membre de la CE de la Ligue et, jusqu’à présent secrétaire de rédaction de la Lutte de Classes, revue théorique de l’Opposition de gauche, pour laquelle il me demande parfois de faire des traductions. C’est là, vous le reconnaîtrez, une singulière manière de comploter et de préparer la formation d’un bloc.
La vérité, que le camarade Trotsky s’obstine à ne pas vouloir voir, c’est qu’on ne peut pas imposer une direction Molinier sans en subir les conséquences, que la Ligue communiste française est devenue une minuscule caricature stalinienne, avec toutes les tares du stalinisme qui, elles, ne sont pas minuscules ; que la vie intérieure de la Ligue est, sous la direction de Molinier, une bouffonnerie sans exemple dont nous sommes les seuls à ne pouvoir rire parce que c’est nous qui en faisons les frais.
J’arrête ici cette trop longue lettre. Le camarade Trotsky pourra sans doute vous écrire encore qu’il y a des choses que j’ai « oublié de vous dire. » C’est vrai. Mais je vous ai dit l’essentiel, assez sûrement pour que vous puissiez vous faire une opinion : il n’y a rien qui me gène et je n’ai rien à cacher. Ce que je puis vous dire encore en terminant, c’est que, quoi qu’il arrive, dans la Ligue ou hors de la Ligue, je continuerai à travailler pour les idées sur lesquelles l’Internationale communiste s’est fondée et dont l’Opposition de gauche doit désormais assurer la défense. Je ne suis pas d’hier dans le mouvement ouvrier et demain comme aujourd’hui je m’efforcerai de la servir dans la mesure de mes capacités et de mes forces.
Avec mes salutations communistes.
1.- Personnage de l’Auberge des Adrets (1823) et de Robert Macaire (1834). Type de forban qui se dissimule au sein des sociétés modernes sous les traits d’un banquier ou d’un journaliste [Le petit Robert 2] 2.- Molinier était un recouvreur de dettes, il achetait des créances douteuses et travailler à les réaliser.