1. L’approfondissement et la continuation de la crise du capitalisme international se combinent avec la crise politique en Grèce. Cette combinaison crée une situation de polarisation socio-politique accentuée et la perspective d’une accélération marquée des processus en cours.
1.1. Les dominants ne peuvent pas continuer à gouverner comme antérieurement
La prétendue « success story » économique du premier ministre Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie) et du ministre des Finances Yannis Stournaras s’est déjà effondrée. La seule « promesse » que la bourgeoisie peut faire est celle d’une prolongation étendue d’une austérité sévère, d’une permanence durable des niveaux sans précédent de chômage. Aucune « lumière » n’apparaît « au bout du tunnel ». Malgré les terribles privations de tout ordre imposées, la dette est montée en flèche et atteint un niveau supérieur à celui de 2009. Elle est estimée à 317 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre de 2013. Cela rend la perspective de nouveaux Mémorandums [dictés par la Troïka] et de nouvelles mesures d’austérité de plus en plus possible.
Sur le terrain politique, la Nouvelle Démocratie (ND) ne peut pas faire face à la crise de direction politique bourgeoise. Malgré le soutien scandaleux de toutes les forces de l’establishment (mass media, grands capitalistes, centres de pouvoir internationaux), l’influence de la coalition au pouvoir (ND et PASOK-Mouvement socialiste panhellénique) reste faible. Cette coalition risque de perdre les élections au cas où elles se tiendraient de manière anticipée. Le tournant très à droite de Samaras a créé plus de problèmes qu’il n’en a résolu et cette fraction de ND doit faire face aujourd’hui à une « opposition interne ». Ainsi, même les politiciens notoirement d’extrême-droite et membres de ND, tels Nikos Dendias, ministre de « l’ordre public », et Makis Voridis, ex-ministre des Infrastructures, ont été contraints – malgré leur orientation politique récente en direction d’Aube Dorée – d’« affronter » cette dernière, afin que la ND conserve un certain contrôle sur les développements politiques et maintienne l’espoir d’obtenir une première position en cas d’élections.
Le centre gauche, la force qui avait traditionnellement la tâche d’organiser des compromis et la conduite des contre-réformes, ressemble à un zombie. Avec la colère de la base sociale qu’il représentait jadis, la social-démocratie en Grèce est en train de s’effondrer à un rythme sans antécédent en Europe. Dans les sondages, le PASOK d’Evangelos Venizelos, vice-premier ministre, est proche du seuil de 5 % des suffrages qui permet d’accéder au parlement. Divers fragments issus du PASOK tentent vainement de « recomposer » une force afin de mettre en place une version grecque du parti italien L’Olivier [dont une des têtes était Romano Prodi]. Toutes les forces (par exemple la Gauche démocratique-DIMAR de Fotis Kouvélis) qui rejoignent ce marais seront rapidement « déchiquetées » par les effets de la crise et des chocs socio-politiques, cela en raison de la colère des masses laborieuses et des couches populaires.
La réorganisation de la social-démocratie sera impossible aussi longtemps qu’une politique de concessions élémentaires et de dialogue social est hors de question pour la classe dominante.
La crise de direction de la part des partis bourgeois traditionnels crée un risque d’autoritarisme, un tournant antidémocratique vers un « Etat fort » et « un pouvoir avec une poigne de fer ». La croissance d’Aube dorée (avec le soutien scandaleux de l’appareil d’Etat) était et reste un élément pour la concrétisation d’une telle perspective.
Face à cette menace, notre seul bouclier est la force du mouvement des travailleurs en Grèce, la force qui a soutenu la montée de la gauche (et surtout de SYRIZA), la force qui a imposé le premier coup à Aube dorée après l’assassinat de Pavlos Fyssas, la seule force qui peut écraser complètement les néonazis et défendre les droits et les libertés démocratiques.
1.2. Les gouverné·e·s ne veulent pas être gouvernés comme par le passé
Face aux politiques d’austérité, la classe ouvrière et le peuple de Grèce ont répondu avec une résistance prolongée et forte ; elle se situe au plus haut niveau au sein de toute l’Europe. Au cours des trois dernières années, à de nombreuses reprises, l’establishment a pensé qu’il avait réussi à se défaire d’une forte opposition. Mais, à chaque fois, il a dû, assez vite, faire face à une renaissance du mouvement de résistance. Il y là la réponse à ceux qui prétendent aujourd’hui que « les gens ont perdu la volonté de se battre ». Affirmation faite en vue – surtout dans les cercles dirigeants des syndicats – de blâmer les salarié·e·s et, de la sorte, de ne pas faire les comptes avec leurs propres insuffisances ou, plus clairement, leurs trahisons des besoins et revendications des travailleurs et travailleuses.
Les directions syndicales – social-démocrates en particulier – porte une responsabilité historique en la matière. En acceptant les
Mémorandums, en essayant de sauver les appareils syndicaux [mis en place avant la crise au travers d’une répartition entre partis dominants] contre les droits des travailleurs, ils ont conduit les syndicats – au cours d’une période de luttes massives des travailleurs – dans une crise historique. Cette situation, combinée avec le retard dans le développement des organisations sociales alternatives de lutte, a débouché sur un manque critique d’« armes défensives » pour la classe ouvrière, et cela dans une telle période cruciale.
La combinaison de tous ces facteurs crée une situation singulière, étrange. D’une part, la classe ouvrière semble incapable d’une riposte à la hauteur, donc de mettre à bas – immédiatement – les Mémorandums et les politiques d’austérité. D’autre part, les citoyens et les citoyennes appuient avec une force sans précédent la gauche politique. Ils soutiennent une solution politique (« un gouvernement de gauche ») dont l’audience est forte et reste populaire, malgré les attaques de tous les instruments du pouvoir contre une telle éventualité.
2. Un gouvernement de gauche
Dans le contexte d’une telle impasse politique et de cette polarisation extrême entre les principales classes sociales, un « gouvernement de gauche » en Grèce ne peut pas être une répétition pacifique des gouvernements de (centre) gauche qu’a connus l’Europe au cours de ces 20 dernières années (tels le gouvernement de la « gauche plurielle » en France ou celui de Romano Prodi en Italie).
Et il ne peut pas profiter de la stabilité des « anciens » gouvernements dits de gauche en Amérique latine (comme le maintien durable au pouvoir du Parti des Travailleurs au Brésil, qui jouissait de la tolérance de la bourgeoisie, dans un contexte économique et social fort différent).
Quiconque pense au sein de SYRIZA à la possibilité de répéter de telles formules nage dans l’utopie.
Un gouvernement de gauche, plongé au milieu de la profonde crise de la Grèce actuelle, ouvrira sur une « aventure ». Soit il sera forcé de trahir presque sans délai les attentes populaires et des salarié·e·s, et cela conduira à un effondrement tragique ou, au mieux, « grotesque ». Ou il sera contraint d’appliquer des politiques qui bouleversent les choix politiques cruciaux de la classe dominante et de sa direction, faisant appel ainsi à l’entrée « sur scène » des mouvements sociaux et ouvrant la voie à des changements radicaux qui iraient bien au-delà d’une simple conquête parlementaire gouvernementale du « pouvoir ».
C’est à ce genre de dilemmes et de luttes que nous devons nous préparer. Notre combat est de renverser Samaras, pour annuler les Mémorandums, pour mettre fin à cette austérité, pour écraser totalement les néonazis, pour atteindre les objectifs assumés d’un effectif gouvernement de gauche.
Nous allons donc devoir mener une lutte – dont le résultat ne peut pas être prédit, par définition – pour l’orientation programmatique et politique d’un tel gouvernement, pour son caractère de classe. Nous aurons à défendre le gouvernement de gauche contre les attaques de la droite, mais nous aurons aussi à défendre la classe ouvrière contre les déficiences, les hésitations, ou (ce qui est loin d’être impossible) les tournants à droite de la gauche gouvernementale.
Nous réaffirmons notre opinion selon laquelle le gouvernement de gauche n’est pas le but final (qui pourrait prétendument sauver les gens, le pays, etc.), mais une étape « transitoire » qui soit peut ouvrir la voie à une émancipation socialiste ou au contraire s’effondrer après une défaite honteuse.
Dans ce contexte, il est évident que les développements à l’intérieur de SYRIZA sont un facteur crucial. Le Congrès de DEA approuve et confirme les initiatives du Comité central sortant pour la mise en place d’un courant de la gauche radicale à l’intérieur de SYRIZA, grâce à l’alliance de la Plateforme de gauche. Dans un futur proche, DEA soutiendra le plus possible la constitution et la consolidation concrètes de la Plateforme de gauche, en termes programmatiques, politiques, tactiques et organisationnels.
Selon nos estimations, les choix à venir vont être de plus en plus difficiles et conflictuels. C’est pourquoi nous mettrons l’accent sur la constitution indépendante du Red Network (regroupement de diverses forces) et le soutien à Rroject.gr comme « organe » de ce réseau. Nous devons, de toute urgence, rallier autour de nous les militants de SYRIZA qui sont capables et désireux d’agir en conformité avec nos conceptions, nos options politiques et le « timing » politique si important dans un tel contexte.
3. Comités populaires
Le choix de mettre en place des comités populaires qui – a été proposée à partir de la Plateforme de gauche et est acceptée par SYRIZA en général – est d’une importance cruciale.
Cette approche doit répondre à la question du développement d’une relation étroite avec les militants qui ne sont pas à l’intérieur de SYRIZA.
Plus important, elle offre une perspective aux membres de SYRIZA, et en particulier aux adhérents et sympathisants de la Plateforme de gauche, sur la forme que peut prendre l’unité dans l’action de l’ensemble de la gauche, compte tenu de l’orientation sectaire du Parti communiste (KKE) et, de manière moins prononcée, de part d’ANTARSYA (coalition hétérogène d’une partie de la gauche radicale).
L’option en faveur des comités populaires de résistance (illustrés déjà par quelques dizaines d’exemples) répond à une modalité d’unification des initiatives et luttes sociales contre l’austérité ainsi que des mobilisations antifascistes.
Mais plus important encore, cette option jette les bases permettant de répondre à une question cruciale : le retard dans le développement d’organismes sociaux dans lesquels les personnes, elles-mêmes, présenteront leurs propres revendications, définiront les tactiques à adopter, ce qui implique une participation active, facteur de politisation. Nous envisageons les comités populaires de résistance comme un instrument stratégique permanent. Nous voudrions qu’ils évoluent vers des organes de lutte aptes à s’engager dans le renversement du gouvernement Samaras et, dans la foulée, à être des « embryons » d’une organisation indépendante des classes laborieuses et des masses populaires, afin de faire face aux défis qu’ils devront affronter dans l’hypothèse de l’accession d’un gouvernement de gauche.
4. DEA et ses perspectives
Dans un passé récent, nous étions en première ligne face aux attaques visant les organisations de la gauche révolutionnaire à l’intérieur de la coalition de SYRIZA ; autrement dit, une très forte pression pour une « auto-dissolution ». Suite au Congrès fondateur de SYRIZA (10-14 juillet 2013), cette pression s’est amenuisée, d’autant plus que se sont révélés les aspects hypocrites ayant trait à l’argumentation sur la nécessité d’une « dissolution » des organisations. Pour nous, cela rend plus facile la défense avec fermeté de nos « terrains d’action » (presse, initiatives, prises de position, etc.) et conjointement de participer pleinement aux activités de SYRIZA, ce qui doit faire obstacle à toute tentative de remettre à l’ordre du jour le thème de l’« auto-dissolution ».
Mais cela n’est pas assez. Le défi principal est que nous parvenions à construire une organisation plus ample, plus sérieuse, plus ancrée dans les terrains sociaux et pouvant permettre le rassemblement dans l’action du plus large courant de gauche avant et au cours des batailles sociales et politiques décisives qui nous attendent.
Dans cette perspective, le Congrès donne mandant au nouveau Comité central d’œuvrer à:
– Une « réorganisation démocratique » plus ample de DEA, cela en conformité avec les nouveaux statuts adoptés [qui ont été un des points de discussion du congrès].
– Le redéploiement des forces organisées de DEA afin de déployer un fonctionnement à l’échelle des régions, avec l’objectif d’une croissance rapide de l’organisation [qui s’est vérifiée durant les derniers mois].
– Un renforcement systématique de notre présence dans les lieux de travail, dans le but d’un enracinement social accru. La mise en place de structures regroupant les salarié·e·s selon les secteurs de travail – processus déjà engagé dans les hôpitaux, l’éducation, etc. – en indique la voie.
– La poursuite et le renforcement de notre action antifasciste et antiraciste, en relation étroite avec la lutte contre l’austérité sociale.
– L’accentuation de notre travail organisé dans la jeunesse avec notre implication dans le processus de fondation de la Jeunesse de SYRIZA.
– Notre engagement le plus actif possible dans les comités populaires existants et pour les multiplier.
– Le fonctionnement plus organisé, en tant que tels, du Red Network et du Rproject.gr.
– La conduite à bon port du processus de fusion avec les camarades de Kokkino et d’APO, en mettant l’accent sur la nécessité, comme élément de ce développement, de gagner une couche plus ample de militants politiques.
– La fondation de l’Institut Pantelis Pouliopoulos [1] qui devrait faciliter un élargissement du débat idéologique et politique, des publications et diverses initiatives publiques, etc.
– L’élargissement de la diffusion de notre presse (Ergatiki Aristera) et la relance d’une revue théorique et politique. Le Conseil national [structure réunissant les représentants des divers groupes locaux] doit encore débattre et décider du caractère de cette revue.
Toutes ces tâches et initiatives ici désignées ont un objectif: le renforcement idéologique, politique et organisationnel de DEA afin d’affronter avec succès les «tempêtes» à venir. 27 octobre 2013 (Traduction A l’Encontre)
[1] Pantelis Pouliopoulos est né en 1900. Il adhère à l’opposition de gauche en 1927, sera exclu du Parti communiste. Il traduira en grec Le Capital, La critique de l’économie politique de Marx, La révolution trahie de Léon Trotski, etc. Il sera actif pour l’unification du mouvement trotskiste grec en 1938. Il fut alors arrêté par la dictature de Metaxas. En 1943, il a été exécuté par les carabiniers fascistes italiens, occupant la Grèce. Le discours qu’il avait adressé aux soldats du peloton d’exécution leur avait fait renoncer à tirer. La hiérarchie fasciste dut faire appel aux carabiniers. (Réd. A l’Encontre)