Des milices privées dans les quartiers populaires

poing levé prométhée site communistepremière mise en ligne le 27 décembre 2011 sur http://promcomm.wordpress.com

Le décret du 21 décembre 2011, où comment créer et développer massivement des milices privées pour contrôler les quartiers populaires.  A la veille de Noël, François Fillion a signé un décret qui est passé presque inaperçu. Pourtant, ce texte ouvre la porte à un renforcement sécuritaire inédit, par l’intermédiaire d’acteurs privés.  En effet, les gestionnaires d’immeubles collectifs d’habitation sont désormais autorisés à détenir des armes de 6ème catégorie pour assurer des missions de gardiennage et de sécurité.

L’habitat collectif, on le retrouve concentré dans les quartiers populaires. L’Union Sociale de l’Habitat à-elle-seule regroupe un parc de 4,2 millions de logements (dont 26% en Zone Urbaine Sensible) permettant de loger 10 millions de personnes (un français sur six !).

 Un renforcement sécuritaire inédit dirigé vers les quartiers populaires et les plus modestes

Qui sont-elles ces 10 millions de personnes ?  Pour 60%, des ménages dont le revenu est inférieur à 60% des ressources plafonds HLM. Pour un célibataire, moins de 60% du plafond signifie gagner moins que 926 € par mois. Pour une famille de 4 personnes, 1800 €. Un tiers des locataires se trouve même en dessous de 20% du plafond : soit moins de 320 € et pour une famille de 4 personnes 621 € par mois !

Pour 19%, il s’agit de familles monoparentales alors qu’elles ne représentent que 9% de l’ensemble de population.  Pour 10%, il s’agit d’étrangers alors que ceux-ci ne constituent que 5% de la population globale.  Ce décret apparait comme une nouvelle mesure contre le logement social qui s’est vu ponctionné financièrement à de nombreuses reprises par le gouvernement. Le mettant à mal au point qu’il est endetté à hauteur de 102 milliards d’euros et que le seul remboursement de la dette (annuités et intérêts) atteint 7,1 milliards d’euros représentant 41% des loyers…

Le 21 décembre, donc, avec effet immédiat le lendemain, Fillion a décidé de transformer les 50 000 gardiens d’immeubles (ils étaient encore 75 000, il y a 20 ans) en autant de milices privées qu’il n’y a de gestionnaires d’immeubles collectifs.

Les classes populaires (ouvriers, employés, retraités, privés d’emplois) et la jeunesse populaire touchées de plein fouet par les effets de la crise du système capitaliste sont les 1ère cibles de Sarkozy – Fillion et Guéant cosignataire en tant que ministre de l’intérieur et de l’immigration (ce dernier terme n’est pas placé ici par hasard).

Certaines classes sociales seraient-elles dangereuses pour l’ordre social, difficile à maintenir en période de crise, de chômage et de précarité de masse ?  Est-ce en dotant les gardiens de gazeuses (grosses bombes lacrymogènes) et de tonfas (matraques américaines) que les racines mêmes de la misère qui frappent les quartiers populaires disparaîtront ?

Il est vrai que l’objectif n’est pas de lutter contre la misère mais de maitriser les miséreux.  Le décret, qui plus est, prévoit la création de lieux de stockages de ces armes dans les quartiers. Mais jusqu’où veulent-ils aller ?

 La mise en place insidieuse d’un nouvel ordre sécuritaire

L’armée s’entraîne déjà depuis de nombreuses années au CENZUB à Sissonne à faire la guerre urbaine, dans une mini ville de 5 000 habitants et un village constitué de 63 maisons, d’un camping dotés de caravanes (gens du voyage vous êtes prévenus). Une réserve militaire de 10 000 hommes a été créée pour intervenir en cas de crise interne. De quoi combler un Stéphane Gatignon Maire Europe Ecologie les Verts de Sevran qui a demandé l’intervention armée dans les quartiers.

Les polices municipales se développent à très grandes vitesse comme les caméras (35 000). En 20 ans, les effectifs de la police municipale ont augmenté de 50% pour atteindre 21 000 flics, soit 12,5% des forces de l’ordre. Avec des prérogatives qui comme les effectifs s’accroissent.

Quant à la police nationale, elle a connu avec la loi du 15 mars 2011 une véritable révolution. Jusqu’à cette date, seuls les policiers des corps actifs à la retraite pouvaient faire partie de la réserve civile de la police nationale. Depuis, cette réserve est ouverte aux policiers et à l’ensemble de la population dans des missions de sécurité. Imaginons une seule seconde, ce qu’en ferait le FN ou un parti populiste !

Depuis quelques années (en fait depuis le 11 septembre) est apparue très clairement l’émergence idéologique d’un continuum intellectuel et organisationnel entre défense nationale et sécurité intérieure, avec la désignation d’ennemis intérieurs. Pour preuve, la gendarmerie, depuis le 3 août 2009, est sous la tutelle du ministère de l’Intérieur.

L’arsenal juridique, lui aussi n’a eu de cesse d’enfler. Depuis juin 2002, 42 lois sécuritaires ont été adoptées, soit un peu moins de 10% de l’activité législative consacrée uniquement à cette thématique entre 2002 et 2011 : de la Loi Sécurité Quotidienne (Vaillant – PS) à LOPPSI 2 (2011).

C’est donc dans ce contexte que Sarkozy – Fillion – Guéant ont décidé d’armer les concierges – gardiens. Mais en matière de loi sécuritaire, les socialistes ont aussi leur part de responsabilité avec la loi Vaillant de 2001 (Gouvernement auquel appartenait également Mélenchon).

Alors Marie Noëlle Lienenman, ancienne secrétaire d’Etat dans le gouvernement précité, peut toujours dénoncer ce décret comme une décision négative, sans même appeler à son retrait.

 Des gardiens d’immeubles armés ? Non ! Des milices privées en nombre et bien équipées

Au demeurant, Sarkozy – Fillion – Guéant ne comptent pas véritablement transformer les gardiens d’immeuble en rambos des cités.  Leur modèle est tout autre. C’est le GPIS, créé en 2004 sous le 1er mandat de maire de Bertrand Delanoë et financé par la Mairie de Paris pour moitié des 12,7 millions d’euros qu’il coûte.

Il s’agit d’un Groupement d’Intérêt Economique (sic !) dénommé Groupement Parisien Interbailleurs de Surveillance. Ce n’est ni plus ni moins qu’un service interne de surveillance propre à 13 bailleurs sociaux, regroupant 73 468 logements et 150 000 résidents. Le GPIS s’appuie sur un Poste de Commandement Opérationnel (terme appartenant au lexique militaire), 125 agents dotés d’uniformes proches de ceux de la police, de 50 véhicules, de 10 patrouilles cynophiles, d’un système de vidéosurveillance en temps réel. Il effectue en moyenne 88 000 rondes et 14 000 interventions par an.

Le décret 2011-1918 du 21 décembre 2011 ne s’adresse donc pas aux gardiens d’immeubles que l’on voit mal sortir ou rentrer les poubelles avec un tonfa accroché à la ceinture.  Il vise en fait à généraliser l’expérience du GPIS et la renforcer en dotant ces milices privées d’armes de 6ème catégorie.  Les GIE constituent une technique très souple qui ne suppose que la signature d’une convention entre les membres et l’inscription du groupement au registre du commerce.

A Versailles, un groupement inter bailleurs a été créé avec la police. A Reims, où les effectifs de la police municipale ont augmenté de 10% depuis 2008 et viennent d’être dotés de gilets pare balles, les bailleurs seraient en cours de finalisation d’un mini GPIS.  Mathieu Rigouste chercheur à l’Université Paris VIII dans son excellent ouvrage : « l’ennemi intérieur : généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine », publié en 2009, décrit ce « nouvel ordre sécuritaire », structuré « autour d’un ennemi intérieur vivant dans les quartiers populaires », prenant place dans « un capitalisme sécuritaire mondialisé », et développant « éthnicisation de la menace et racialisation », ainsi qu’une « division racialisée de la société ».

Il y décrit les « nouvelles techniques de contrôle des quartiers populaires », « la militarisation », « l’importation des méthodes de guerre urbaine », « le phantasme d’une antiguérilla post coloniale ».

 De nouvelles techniques de contrôle des quartiers populaires

Le chercheur Hacène Belmessous explique pour sa part que pour son dernier ouvrage : « J’ai commencé par la politique de la ville, en me demandant : qu’est-ce qu’on vise à travers ces opérations de rénovation urbaine ? Pourquoi faut-il l’intervention d’un policier qui estime qu’il faut détruire telle barre et pas telle autre ? Pourquoi ces démolitions en masse ? Les gens sentent que ce qui se joue, ce n’est pas une opération de rénovation urbaine, mais une mainmise policière. Je n’imaginais pas que derrière le discours du « renouveau » (cf. la campagne de Sarkozy et le plan « Espoir banlieues »), la police joue un rôle si important dans le conditionnement du territoire ».

Auteur de « Opération banlieues. Comment l’Etat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises », (2010)  il démonte les rouages des politiques de rénovation des quartiers d’habitat social et leur modèle d’organisation policier, autour de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er aout 2003, de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), du développement par l’Etat de la vidéosurveillance.

Michel Foucault considérait que la guerre peut servir de matrice d’analyse des rapports de pouvoir. Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui par l’entremise de ce décret en apparence anodin, c’est à un durcissement de la guerre de classes dans une période de décomposition sociale, démocratique (de la superstructure politique bourgeoise), économique, sous l’effet d’un capitalisme financier exacerbé et totalitarisant, qui n’hésitera pas à faire usage de la violence physique pour maintenir sa domination.

Il est primordial pour lui d’empêcher toute forme d’organisation politique adverse dans les quartiers populaires où vit la fraction du prolétariat mondialisé la plus exploitée et la plus opprimée.

Au demeurant, les guerres néo impérialistes en Afghanistan, en Irak, en Libye et demain ailleurs, sans oublier la Palestine occupe procèdent elles aussi de cette évolution du monde. Y sont testés, appris et mis en répétition des modes de répression de masse, et y est mise en œuvre la préparation psychologique des populations à l’acceptation de la pratique de ces modes dans nos quartiers populaires et à l’ensemble de la société.

La première de nos responsabilités est de dévoiler ce processus pour le combattre sans attendre que l’on vienne nous menotter…

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