Guerre au Mali

«La vivisection de l’Algérie poursuivie depuis 80 ans trouve maintenant moins de résistance, car les Arabes que le Capital français encercle toujours plus étroitement depuis la soumission de la Tunisie (1881) et du Maroc, sont réduits à merci », Rosa Luxembourg en 1912

Loin des caméras et des journaux télévisés, une guerre se livre au Mali dans la quasi-indifférence et dans un silence médiatique assourdissant. Il est vrai que la France a d’autres soucis. Affaires au PS : Cahuzac, Guérini (Conseil général des Bouches du Rhône), Fabius (fils), Kucheida (député – maire du Pas de Calais), Andrieux (député des Bouches du Rhône). Affaires à droite : Guéant, Sarkozy (Betancourt, Buisson, Karachi et Libye), Tapie – Lagarde (ancienne ministre aujourd’hui au FMI), Jean-Christophe Lagarde (député maire de Drancy). Sur fond de manifestions contre le mariage gay ; de résurgence de la violence des groupuscules d’extrême droite, allant jusqu’au meurtre de Clément Méric ; de chômage de masse : 100 000 emplois ont été détruits en 2012 et 20 000 l’ont été depuis début 2013.

Un contexte réjouissant tellement Marine Le Pen qu’elle s’autorise à donner à l’actuel président français de la République, un satisfecit : « l’intervention au Mali est arrivée au bon moment, c’était une bonne décision ». Peut-être y trouve-t-elle une réminiscence et un brin de nostalgie familiale lui rappelant l’action de son père en Algérie, Etat frontalier du Mali.

Quoi qu’il en soit le conflit qui agite le Sahara et le Sahel est une guerre programmée depuis longue date.

I/ Une guerre programmée depuis longue date

Au début des années 2000, les États-Unis et leurs alliés ont pris pied au Sahel, à travers divers dispositifs :

- En 2002, la Pan Sahel Initiative (PSI)
- En 2005 Trans Sahara Counterterrorism Initiative (TSCTI)
- En 2007 Enduring Freedom Trans Sahara,
- En 2010, l’accord de Tamanrasset : l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger forment désormais un groupe de contre terrorisme. L’Algérie en est un élément clé en fournissant du matériel. En parallèle, à ce cadre, en mai 2010, des Forces Spéciales américaines, 12 pays européens et africains (Sénégal, Tchad, Allemagne, France, Espagne, Royaume Uni, Algérie, Tunisie, Maroc, Burkina Faso, Nigeria, Mali) ont conduit l’opération Flintlock.

Pour créer le décorum justifiant un tel déploiement, le Pentagone, déclare dès octobre 2007 que la ville malienne de Kidal constitue désormais « le nouveau front de la guerre contre la terreur ». Quid de l’Afghanistan et de l’Iraq ?

Il s’appuie sur le discours de l’ambassadeur algérien au Mali : « nous avons dit aux touaregs : vous côtoyez les GSPC (NDLR islamistes algériens), essayez de vous en débarrasser. Le gouvernement malien n’est pas en mesure d’agir. Il n’y a personne d’autre que les Touaregs pour agir ». Ils agiront d’ailleurs en tendant une embuscade aux islamistes, un général algérien assistant (participant ?) même aux combats.

L’année suivante face à la menace djihadiste le « Paris Dakar » est annulé.

Dès 2009, la France déploie en permanence des Forces Spéciales au Sahel. Plusieurs Groupes d’Actions Tactiques (GAT) sont sur place mobilisant en permanence la quasi-totalité des Véhicules de Patrouille Spéciales (VPS), 5 hélicoptères et 1 à 2 Avions de Transport et d’Assaut (ATA). Le 22 juillet 2010, ces troupes interviennent au nord Mali conjointement avec un contingent mauritanien. Le 9 janvier 2011, elles mènent une opération au Niger.

Barak Obama s’empresse dès son 1er mandat d’octroyer à l’Etat malien, une aide de 5 millions de dollars, constituée de véhicules et moyens de communication, dans le cadre du dispositif Pan Sahel. Pour une grande majorité, ils tomberont entre les mains des forces rebelles en 2012.

Cette année là, 18 millions de personnes souffriront de la faim au Sahel ; une donnée socio-économique peu mise en avant.

Début 2012, le nord du Mali est en proie à une énième agitation touareg.

Mais celle-ci est inédite. Au classique mouvement indépendantiste se joignent des touaregs islamistes (Ansar Eddine) et des djihadistes d’AQMI notamment algériens (ex GSPC) et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), pour beaucoup de retour de Libye. Ni AQMI ni le MUJAO ne sont maliens.

L’une des figures de proue d’Ansar Eddine est Iyad Ag Ghali, un vétéran des guerres de Libye (notamment de la guerre contre le Tchad, ce qui explique pour partie l’engagement du régime tchadien au Mali). Ancien conseiller consulaire malien en Arabie Saoudite, il est très marqué par le wahhâbisme, idéologie réactionnaire reposant sur une confiscation des principaux lieu saint de l’islam (la Mecque).

Dès le 19 janvier 2012, le principal appareil politico-militaire touareg historique, le Mouvement National de Libération de l’Azawad, déclare : « le MNLA se démarque de tout mouvement islamiste, de tout groupuscule radical dont l’idéologie est basée sur une quelconque vision religieuse. Nous tenons à dire également que nous n’avons pas besoin d’AQMI ou d’un quelconque mouvement religieux pour pratiquer une religion. Nous nous situons dans un contexte de laïcité conformément à notre histoire, à nos traditions et à nos cultures ».

Le 22 janvier 2012, le MNLA demande sur la base de l’article 1 de la Charte des Nations Unies, une consultation populaire sur l’autodétermination, comme le Polisario au Sahara occidental occupé par le Maroc. Il dénonce également la présence de groupes terroristes au Mali.

Son projet politique porte notamment sur l’annulation de tous les contrats signés par l’Etat malien dans l’Azawad et relatifs aux richesses naturelles. Le nord du Mali abrite, en effet, les principales réserves pétrolières, 2 filons d’uranium, 3 de manganèse, 1 d’or, 1 de phosphate. Depuis 2007, la société Oklo Resources Ltd (australienne) conduit des opérations d’exploration du sous-sol autour de Kidal, à la recherche d’uranium.

Le 24 janvier 2012 une centaine de soldats maliens prisonniers est exécutée par les rebelles à Aguelhoc.

Le 22 mars 2012 un coup d’Etat est opéré par le capitaine Amadou Sanago qui a suivi plusieurs stages aux Etats-Unis au sein de l’United States Marines Corps de Quantico (en 2004, 2005, 2007, 2008, 2010).

L’un des 1ers actes de la nouvelle junte consiste à rencontrer les compagnies minières, notamment la société Oklo Resources, le 28 mars, au titre de ses exploitations aurifères à la frontière mauritanienne.

Le coup d’Etat entraîne de violents combats dans le Nord. AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine récupèrent des blindés T54, BDRM2 et BTR 60.

Pour sa part, le MNLA déclare, le 6 avril 2012 l’indépendance de l’Azawad. C’est un point de bascule.

Le 20 avril 2012 à Bamako, un banal accident de la route révèle la présence de troupes US au Mali. 6 corps sont repêchés dans le Niger. 3 sont ceux de prostituées et les 3 autres appartiennent à des soldats du 91st Civil Affairs Battalion. L’un d’entre eux relevait de l’Intelligence and Security Command spécialisé dans la guerre électronique (interception téléphonique et de mails etc.).

Le 17 mai 2012, le MUJAO attaque le MNLA à Anefis.

Le 19 mai 2012, le ministre français de la défense Jean-Yves Ledrian s’entretient sur le Mali avec des responsables militaires américains lors du sommet de l’OTAN à Chicago.

De retour en France, il participe le 31 mai 2012 à une réunion consacrée au Mali avec François Hollande.

Le MUJAO chasse le MNLA de Gao en juin.

Le même mois, le Comité politique et de sécurité de l’Union européenne (COPS) se saisit du dossier malien.

Les Etats-Unis abordent la question autrement au cours de l’été 2012, peut-être en réponse à la mort de leurs 3 soldats en avril. Ils frappent militairement le nord du Mali.

En juillet 2012, 19 blindés BTR 60 et 70 d’origine bulgare sont bloqués à Conakry en Guinée. Selon, un expert militaire « la saisie de cette cargaison va bien sûr ôter toute possibilité à l’armée de Bamako de se lancer seule dans une offensive contre les islamistes désormais bien implantés à Tombouctou ».

Il s’agit d’une pression sur la junte pour qu’elle accepte des troupes africaines. Elle est efficace puisque le 18 septembre 2012, les « autorités de transition maliennes » adressent au Secrétaire général des Nations Unies une lettre dans laquelle elles demandent la création d’une force militaire internationale l’aidant à reprendre les régions « occupées » du Nord du pays.

Le 26 septembre 2012, lors d’une réunion informelle des ministres européens de la défense, Jean-Yves Ledrian poursuit son action en vue d’une intervention militaire en exhortant dans ce sens ses homologues.

Le 15 octobre 2012, la Direction de la planification de la gestion des crises présente les conclusions du comité politique et de sécurité de l’Union européenne (COPS) en conseil des ministres de l’UE.

Parallèlement, Barak Obama rencontre ses conseillers pour envisager de nouvelles frappes au Mali.

Fin octobre 2012, le Commandement des Opérations Spéciales (COS) français prépositionne une Task Force de 250 hommes au Burkina Faso dotée de 6 hélicoptères, de 2 ATA, de véhicules de types VPS, P4 VLRA.

Le 31 octobre 2012, le ministère de la défense décide de préparer l’envoi massif de troupes. L’accélération du retrait des troupes françaises d’Afghanistan s’inscrit dans ce cadre avec en octobre le retour de 2000 hommes.

Du 16 au 21 novembre 2012 ont lieu de violents combats entre le MNLA et le MUJAO soutenu par AQMI.

Le 22 novembre 2012, Jean Félix Raganon, représentant spécial de la France pour le Sahel reçoit à Paris, Bilal Ag Achérif, à la tête d’une délégation du MNLA.

Début décembre 2012, un poste de commandement régional est installé au Tchad. Il s’agit du Joint Forces Component Command de l’Afrique Centrale et Ouest (JFACCAFCO) composé de 39 militaires français. Il gère une cinquantaine de sorties aériennes par jour.

Le 11 décembre 2012, la décomposition de l’Etat malien atteint son acmé avec la démission du 1er ministre et la dissolution du Gouvernement.

La situation malienne devient une question internationale le 20 décembre 2012 avec la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unies présidé alors par le Maroc.

Le Conseil considère que les groupes terroristes et réseaux criminels constituent une grave menace sur la population du Mali, la stabilité du Sahel, de l’Afrique en générale et de Communauté internationale.

Il est vrai que le Mali même s’il est un Etat défaillant, démantelé par les politiques du FMI et de la Banque mondiale est le 3ème producteur d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana. Qu’il regorge de fer, de bauxite, de lithium, d’uranium, de diamants, de gaz et de pétrole.

Face à la vacuité étatique malienne, aggravée par la crise du prix du coton, les privatisations, l’achat massif de terres aux paysans par des sociétés minières, des organisations humanitaires (religieuses) financées par certains Etats se sont substituées aux pouvoirs publics. L’économie de contre bande qui a toujours existé sur ce carrefour géographique prend une place industrielle génératrice de revenus et de pouvoir.

La décomposition de l’Etat malien a laissé le champ libre aux organisations de djihado-narco-trafiquants qui ont imposé leur férule aux populations (amputations, viols, destruction du patrimoine culturel, imposition d’un mode de vie, terreur, enrôlement de force, etc.).

Le Conseil de sécurité exige que les groupes rebelles maliens (MNLA et Ansar Eddine) rompent tout lien avec AQMI dont le MUJAO.

Le ministre des affaires étrangères du Mali dénonce devant le Conseil la « criminalité transnationale » et « logique de sécession », ayant en tête, comme l’ambassadeur marocain, le cas récent du sud Soudan.

L’alinéa 14 de la résolution 2085 (2012) invite les États membres à fournir tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par les organisations terroristes (AQMI, MUJAO et groupes extrémistes qui leur sont affiliés). La résolution faisant référence au Chapitre VII de la Charte des Nations Unis, elle ouvre la porte à l’exercice d’une coercition militaire à l’égard des entités non étatiques sévissant au Nord Mali et dont les 3 000 à 6 000 hommes armés représentent « une menace pour la sécurité et la paix internationales »…

Le prétexte est vite trouvé pour justifier l’emploi de la force.

Le 10 janvier 2013, une colonne d’une centaine de véhicules transportant 1 200 djihado-narco-trafiquants se dirige vers Bamako. Le Président de la République Française reçoit une lettre de son homologue malien demandant une intervention de la France dans le cadre de la résolution 2085 (2012).

Depuis le 8 janvier 2013, 3 Mirage D de la base Nancy et des Tankers de l’escadron « Bretagne » d’Istres sont en état d’alerte. Le 1er aéronef décolle à 10h25, le mercredi 9 janvier soit avant la réception de la lettre…

En fait, il existe 2 lettres. La 1ère a été rédigée directement par le Président malien. Mais elle a été recalée par l’Elysée. Une seconde version a donc été élaborée dans laquelle Paris dicte précisément les conditions et modalités de son intervention.

II/ Une guerre qui dépasse les frontières du Mali

S’ouvre donc en janvier 2013, une guerre dont le théâtre d’opération apparent semble être le seul territoire malien.

En fait c’est l’ensemble du Sahara et du Sahel qui est concerné : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Libye, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigéria, Sahara occidental, Sénégal, Soudan, et Tchad.

Comme le souligne le chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier, « dans le cadre de SERVAL, nos appareils décollent de 6 ou 7 pays différents et évoluent dans un espace aérien que nous avons remodelé ».

Le théâtre s’étend aux bases militaires impliquées :

- En France : Saint-Dizier, Evreux, Istres, Nancy, Mont de Marsan, Lyon-Mont Verdun
- En Espagne (Moron)
- En Italie (Sigonella)

Il comprend également les principaux membres de l’OTAN participant contribuant à l’opération SERVAL : Allemagne, Belgique, Espagne Etats-Unis, Canada, Danemark, Italie, Pays-Bas et Suède (non membre de l’OTAN mais du partenariat pour la paix de l’OTAN)

Enfin, cette guerre est mondiale de part son aspect électronique, comme le souligne le Colonel Goya : « Pas un pas sur internet sans tomber sur des documents valorisant nos soldats, expliquant la position de la France dans toutes les langues et noyant d’images positives les chasseurs de scandale. Les points clés de Google, Youtube et autres réseaux sociaux ont été occupés dès les 1ers jours de l’opération SERVAL par le groupement tactique internet et ses innombrables geeks – réservistes ». SERVAL passe donc également par la manipulation de l’information.

III/ Le dispositif militaire français

Pour faire face aux 6 000 hommes armés représentant une menace pour la sécurité et la paix internationales, en réalité 1 500 à 2 000, dont 1 000 pour AQMI, la France a mis en place un dispositif de taille.

Celui-ci intègre 5 000 personnels présents directement ou non sur le territoire malien. Ce dispositif ce caractérise par une contribution majeure des Forces spéciales du COS avec 500 hommes sur les 3 000 qu’il compte (soit 16%), notamment les Commandos Parachutistes de l’Air (CPA 10 CPA 20 CPA 30) qui ont fourni une centaine de combattants. Auxquels il faut ajouter les Commandos Marine (commando Trépel), le Groupement de Commandos de Montagne (GCM), le Groupement des Commandos Parachutistes (GCP), le 4ème RHFS et l’Escadron Poitou. Ce dernier pour l’opération SERVAL a mobilisé 12 hélicoptères sur ses 40 (30%), 4 de ses 5 ATA (80%).

Parmi les régiments composant le dispositif figurent le 2ème REP, le 1er RCP, le 13ème RDP, le 1er RPIMA, le 3ème RAMA, le 11ème RAMA, le 1er RIMA, le 2ème RIMA, le 21ème RIMA, le 17ème RGP, le 6ème RG, le 92ème RI, le 126ème RI, le RCIM et le 68ème RAA

En quelques jours, la quasi-totalité du dispositif Epervier basé au Tchad a migré pour le Mali.

Sur le plan aérien, les Escadrons Ardennes, Champagne, Gascogne, Navarre, Normandie Niémen et Provence ont été engagés.

La base aérienne d’Istres a acheminé au Mali en seulement 10 jours, 400 tonnes. Pour l’opération Harmattan en Libye, elle a transporté 800 tonnes mais sur 125 jours. On mesure là toute l’amplitude de l’effort militaire français.

La débauche de matériels constitue un autre moyen de mesurer l’ampleur de l’engagement militaire.

74 aéronefs ont été déployés : 6 Rafale, 2 Mirage F1CR, 6 Mirage 2000 D, 12 Avions de Transport d’Assaut (C130 et 160), 2 ATA du COS, 1 C130 du COS (C3ISTAR Control, Command, Communications, Intelligence, Surveillance, Target Acquisition, Reconnaissance), 1 Gabriel (Renseignement), 5 Tanker C-135 FR (Jamais la France n’a déployé autant de Tankers dans son histoire), des A310, 5 Atlantique II de la Marine (Renseignement et bombardement GBU), 2 drones Harfang, 10 hélicoptères Gazelles, 8 hélicoptères Tigre.

L’opération SERVAL concentre à elle seule 58% des aéronefs utilisés dans le cadre des opérations extérieures militaires françaises.

Avec 12 ATA, elle a enregistré la plus grosse opération parachutiste depuis Suez (1956).

Rien d’étonnant donc dans les propos du chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier : « un constat m’a frappé au cours de l’opération SERVAL : l’armée de l’air n’avait jamais atteint le niveau opérationnel qu’elle a aujourd’hui ».

Les aéronefs de combat ont employé des bombes lisses à 75 000 € pièce, des GBU à guidage laser à 120 000 € pièce, des Armements Air Sol Modulaires (AASM), des Bombes MK82 airbust. L’usage de ces dernières est une parade à l’interdiction des armes à sous-munition. Il s’agit de bombes à fragmentation et effet de souffle emportant 89 kgs d’explosifs.

Pour assurer le déploiement de cet arsenal volant sur le Mali, il a fallu déshabiller la protection opérationnelle du territoire. Ce dispositif permanent assure la sureté de l’espace aérien français. Les Rafale de Creil qui en ont la charge ont été affecté à SERVAL et remplacés par des Mirage 2000 C et 5, nettement moins performants. Il a été également nécessaire de mobiliser des appareils des Forces aériennes stratégiques (FAS) en charge de l’emploi de l’arme nucléaire aérienne et par conséquent d’amoindrir cette composante.

La presse a repris en cœur et à l’unisson le nombre de 450 véhicules dont 200 blindés, soit : une vingtaine Amx 10 RC (blindé à roues et canon de 105 mn de 20 tonnes), des ERC-90 sagaie blindé à roues et canon de 90 mn de 10 tonnes (au moins 18), 36 VBCI (blindés à roues 30 tonnes transport de troupes), 150 VAB (blindés à roues 13 tonnes transport de troupes), 4 CAESAR (canon sur plateforme camion), une centaine de VBL (jeep blindée).

Mais en comptabilisant l’ensemble des véhicules (P4, PVP, GBC, TRM), ils seraient plus exactement 700…

IV/ Une opération de l’OTAN sur le plan logistique

Déplacer une telle force, la France en était incapable seule.

Elle a donc fait appel à des moyens privés en louant des avions (2 Antonov 124 ukrainiens, des An 22 et II 76) dans le cadre du contrat SALIS de l’OTAN, et 3 navires cargo l’Eider, le MN Pélican et l’Ark Forwarder. Les 15 premiers jours de location des avions ex soviétiques auront couté à eux seuls 50 millions d’€.

L’appel au privé est allé beaucoup plus loin. La Direction des Renseignements Militaires a loué à la compagnie CAE aviation un avion de renseignement – surveillance de type Merlin IIIC de la société CAE Aviation Luxembourg.

La France a également fait appel aux principaux États membres de l’OTAN et alliés.

En 1er lieu, les Etats-Unis qui ont tenté de faire payer en euros leur aide caractérisée par son importance en moyens et la diversité du panel de surveillance offert : 1 Awacs (basé à Dakar) , 1 drone Globalhawk (basé à Sigonella en Italie), plusieurs drones MQ1 Predator (armés, basés au Niger), 1 avion PC3 Orion de surveillance (basé à Sigonella), 1 PC 12 et 1 U28 de surveillance (basés à Ouagadougou et à Niamey), des 3 tankers KC 135 R (déplacés de Mildenhall en GB à Moron en Espagne), 3 C17 (basés à Istres). En 15 jours, les C17 ont transportés 1200 tonnes et 950 passagers. Les KC135 et C17 sont sous contrôle opérationnel français mais pas les moyens de renseignement.

Les autres contributeurs sont l’Allemagne, (2 C160, renseignement satellitaire et 1 A310), la Belgique (2 C130, 2 hélicoptères à vocation médicale et 1 A330), l’Espagne (1 C30 basé à Dakar avec 50 personnels au sol), le Canada (2 C17 basés à Istres avec une quarantaine de personnels. Du 16 janvier au 2 février 2013, ils assurent le transport de 450 tonnes de fret), le Danemark (1 C130 J basé à Evreux et la mise à disposition d’un pilote auprès du JFACC-AFCO au Tchad), la Grande-Bretagne (1 Sentinel R1 de renseignement et basé à Dakar et 2 C17, 1ère mise en œuvre de l’accord de défense franco-britannique du 2 novembre 2010), l’Italie (1 tanker KC-767), la Suède (un créneau de 40 heures de vol sur C17), les Pays-Bas (1 tanker KDC 10).

SERVAL n’est donc point une opération strictement française comme présentée dans les médias. Ainsi, le Général Vincent Desportes estime : « nous avons perdu notre autonomie stratégique ». Quant à l’expert européen Nicolas Gros-Verheyde, son constat est des plus cruels : « sans l’apport précieux et couteux des alliés, c’est bien simple, l’Opération Serval n’aurait pas duré plus de 72 heures ».

V/ Les troupes africaines entre alibi et participation aux combats

Si la contribution de l’OTAN a été peu mise en avant, a contrario celle des États africains a été survendue.

Il est vraie que la résolution 2085 (2012) dispose que intervention au Mali est menée « sous conduite africaine ». La force d’intervention est d’ailleurs intitulée Mission Internationale de Soutien au Mali sous conduite Africaine (MISMA).

En dehors des françaises, les troupes au sol sont donc essentiellement africaines : Nigéria 1 200, Bénin 650, Togo 540, Niger 500, Sénégal 500, Burkina Faso 500, Guinée 125, Ghana 120.

Elles constituent une action de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les relations entre les membres de cette organisation régionale ne sont pas toujours au beau fixe. D’ailleurs, afin de fluidifier ce relationnel et de débloquer des troupes, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu le 16 avril 2013 un jugement de Salomon au sujet d’un ancien contentieux frontalier entre le Burkina et le Niger, libérant ainsi la soldatesque mobilisées sur les 375 kms de frontières disputées.

La MISMA créée par la résolution 2085 (2012) a été transformée en Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) par la résolution 2100 (2013) du Conseil de sécurité.

Mais l’apport africain le plus important s’est fait en dehors de ce cadre. Il s’agit de celui du Tchad qui a fourni 85 millions d’euros et 2 000 hommes, sous commandement du fils du Président Idris Déby. Contrairement aux forces de la MISMA, les soldats tchadiens ont pris une part active aux combats, directement aux cotés des troupes françaises. Ils en ont payé le prix fort avec au moins 70 morts dont le commandant des Forces Spéciales tchadiennes Abdel Aziz Hassane Adam. Cet engagement renvoie à diverses motivations. La 1ère d’entre-elles réside peut-être dans la volonté de régler son compte à un vieil ennemi, le responsable d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali qui combattit le Tchad au sein de l’armée libyenne de Kadhafi. Il s’agit également du renforcement de la place du Tchad sur la scène africaine et d’opérer une démonstration de force à destination des opposants, notamment ceux sécessionnistes, susceptibles de vouloir imiter le voisin sud soudanais.

Alors que le Tchad intervenait au Mali, Déby arrêtait même plusieurs députés et journalistes ce justifiant comme suit : « l’intervention au Mali ne devrait pas être pour une petite minorité de mes compatriotes une occasion pour déstabiliser le Tchad ». Il dénonçait « une conspiration qui n’était pas un coup d’Etat mais plutôt une tentative d’organiser un printemps arabe ».

Au-delà, l’Union Africaine tirant les leçons du Mali a décidé de se doter de « troupes de choc » ou « Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux Crises » (CARIC), selon la présidente de la commission de l’Union africaine, Dlamini-Zuma. Le continent africain sera découpé en 5 « régions économiques » (cette terminologie en dit long), chacune dotée d’une brigade forte de 5 000 hommes (l’équivalent du dispositif français SERVAL), de 720 policiers et de 60 civils. L’imitation de SERVAL (et ses GIAT) est également flagrante puisque chaque réserve de 5000 soldats comprendra 3 groupements tactiques constitués de 3 bataillons de 850 soldats, d’une compagnie d’artillerie et de blindés légers, d’une escadre aérienne de 400 aviateurs dotés d’avions et d’hélicoptères d’assaut.

VI/ Des combats sérieux

Nous l’avons vu à travers les pertes tchadiennes, les combats ont été particulièrement violents. D’ailleurs dès le 1er jour officiel de SERVAL, la France subissait son 1er tué au combat. Au 5 juin 2013, 6 soldats français avaient été tués.

Au Mali, la France a opéré en tirant les leçons de l’Afghanistan et de l’Iraq. D’ailleurs le colonel Goya, qualifie SERVAL d’Enduring freedom (invasion US de l’Afghanistan) à la française.

L’arrêt de la colonne motorisée de djihado-narcotrafiquants (les frères d’arme de ceux que la France et ses alliés soutiennent en Syrie) le 11 janvier n’est pas sans rappeler les bombardements US de 2002 contre les forces talibanes avec des FS au sol et des moyens aériens. Il convient bien sur de relativiser la comparaison. Le budget de l’armée de l’air française représente 4% de l’US air Force.

Le 13 janvier 2013, 4 Rafale partis de Saint-Dizier lâchent 21 bombes sur le Mali après un périple de 4000 km et une mission de 9h.

La remontée vers le nord malien quant à elle évoque « la chevauchée fantastique » mécanisée vers Bagdad de 2003 des troupes aéroterrestres américaines, caractérisée par sa grande vitesse de progression opérative.

Les djihado-narcotrafiquants ont été bousculés dès la 1ère frappe officielle qu’ils n’ont pu éviter comme le combat qui s’en est suivi. Il s’agit alors de l’opération Shilka du nom du système d’arme anti aérien monté sur les pickups djihadistes.

Ceux-ci sont contraints d’adopter trois postures différentes.

Pour certains, un repli tactique a été opéré vers le nord. Ils seront rattrapés dans le massif de l’Adrar où se déroulera l’opération « Panthère » menée conjointement par la France, le Tchad et le MNLA en vue de la destruction des unités d’AQMI du MUJAO et d’Ansar Eddine. Comprenant la manœuvre d’encerclement franco-tchadienne, une partie des djihadistes s’enfuie vers la Libye. Une autre décide de fixer les troupes franco-tchadiennes dans une bataille qui n’est pas sans rappeler celle de Tora Bora en Afghanistan mais aussi les combats entre le Hezbollah et Tsahal au Liban.

D’autres ont laissé passer la vague se cachant, attendant l’heure de la riposte sous forme d’embuscade et d’attentats. Ils feront l’objet de l’Opération Doro autour du fleuve Niger, conduite par les troupes maliennes et africaines de la MISMA sous encadrement français.

Les principaux faits d’armes djihadistes sont les suivants :

8 février : 1er attentat suicide à Gao
8 février : embuscade contre les troupes tchadiennes, 40 morts dont 2 colonels (nord mali)
9 février : arrestation de deux porteurs de ceinture d’explosif
10 février : combat dans Gao. Des hélicoptères français bombardent les rebelles réfugiés dans le commissariat central, de cette ville officiellement « libérée » deux semaines auparavant.
19 et 20 février : un hélicoptère Tigre reçoit 26 impacts
21 février : attentat à la voiture Kidal
22 février : échanges de tirs à Askia
6 mars : mort d’un soldat français à Tin Kératine dans une embuscade
21 mars : voiture piégée à l’aéroport de Tombouctou
23 mars : nouvelle infiltration dans Gao
31 mars : attaque à la ceinture d’explosif à un barrage à Tombouctou et attaque de nuit par un commando d’une quinzaine rebelles
12 avril : nouvel attentat suicide à Kidal tuant 3 soldats tchadiens
10 mai : tentatives d’attentat contre le campement des soldats nigériens à Gao et à Gossi contre des soldats maliens
Date indéterminée : un VPS du COS détruit par une attaque à l’IED.

Au courant du mois d’avril 2013, le général Olivier Gourlez de la Motte reconnaissait que dans le cadre de SERVAL avait été consommés 2 500 obus de 30 mm (75 € pièce), 800 de 20 mm, 20 missiles HOT et 200 roquettes de 68 mm.

Dans ce conflit, comme en Afghanistan et en Iraq, les Forces Spéciales ont joué un rôle essentiel. C’est en effet le COS qui ouvre le bal le 11 janvier 2013. La veille, il avait pris soin de prépositionner des hélicoptères Gazelle Hot (missiles) et des Gazelle canon à Mopti. Depuis plusieurs semaines, elles étaient prépositionnées au Burkina Faso. C’est elles qui dans le cadre de l’opération Shilka ouvriront le feu sur la colonne motorisée descendant vers Bamako. C’est le 4ème Régiment d’Hélicoptères des Forces Spéciales qui le 11 janvier enregistrera le 1er mort français. Lors de ce 1er combat (officiel), le COS déploiera également des PATSAS (Patrouille motorisée Stick Action Spéciale) qui engageront également la colonne de 150 véhicules avec leurs miniguns M134D et M3M, et des tirs de missiles milan.

L’action du COS passera également par la prise d’un pont à Gao par la Cellule 14A du CPA. Le CPA 20 assurera le balisage de pistes pour hélicoptères, ou de largage de matériel ou de parachutistes (250), le sniping, le tir d’élimination des poseurs d’IED en Iraq, les fouilles opérationnelles. Dans ce cadre le 6ème RG collectera 1000 roquettes, 60 000 munitions, 1500 obus une vingtaine d’obusiers de type D30 (de 122 mn) et de Lance Roquettes BM21

Notons également des infiltrations pédestres de plusieurs jours pour le 2ème REP et le 1er RCP.

Quant aux GTIA, ils constitueront un poing de fer autour de colonnes blindées – mécanisées accompagnées d’hélicoptères et précédée par des FS.

Enfin, la troisième dimension sera totalement maitrisée. L’armée de l’air et l’ALAT utiliseront l’espace aérien français, espagnol, marocain, algérien, tchadien, nigérien, mauritanien, sénégalais, burkinabais.

La voie aérienne permettra de délivrer du matériel. En janvier 2013, la seule base d’Evreux assure le transit de 1900 tonnes de matériel.

Elle permettra également de délivrer du fer et du feu sur l’ennemi. Le 11 janvier, 4 Mirage 2000 D en provenance du Tchad frappent le nord du Mali. La 1ère bombe est lancée par le pilote qui avait été déjà le 1er à frapper la Libye.

Abou Zeid sera tué suite à un bombardement effectué par un Mirage 2000 lâchant une bombe airbust et par mesure de sécurité la carcasse de son véhicule sera frappée par l’artillerie (Caesar).

La troisième dimension est également source de renseignement.

VII/ Obsolescence de l’appareil militaire et attrition

Le dispositif aérien de l’opération SERVAL et des alliés de la France a connu depuis janvier 2013 de sérieux problèmes.

Certes, les Djihado-narcotrafiquants ne disposent d’aucune aviation. Ils sont réputés détenir quelques missiles obsolètes (SA7) et surtout des armes anti-aériennes comme les Shilka montées sur pickup. C’est d’ailleurs avec de telles armes que le 1er soldat français sera tué.

Le chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier estime donc logiquement que la menace sol air est faible.

Pourtant, les aéronefs impliqués dans la guerre du Mali ont connu un taux d’attrition élevé.

Les tankers (avions citernes) ont été une véritable cause de tourments.

Le 8 janvier 2013, le C-135 FR sensé assurer le refuelage de Mirage connaît un problème de jauge de carburant. Un KC-135 casse sa perche lors d’une opération de refuelage avec un Rafale. Un tanker C135 FR de l’escadron Bretagne rencontre un problème sur un volet intérieur droit. Le même jour un autre tanker est en panne sur la base de Moron. Or ces aéronefs sont essentiels, une mission entre la France et le mali nécessite 5 refuelages.

La capacité des avions assurant les missions cinétiques (bombardement) est également source d’interrogation.

Le 17 janvier, à l’occasion de la destruction d’un blindé BRDM-2, en zone urbaine, entouré de maisons, le système de visée d’un mirage F1CR tombe en panne. Son ailier est contraint de réaliser 3 passes d’obus de 30 mn en milieu urbain.

Les Mirage 2000 peuvent théoriquement emporter 4 bombes GBU mais n’en emmènent que 2 en position centrale pour éviter tout problème.

Les Rafale peuvent tirer des GBU ou des AASM, mais il n’est pas possible de panacher leur emport.

Toutefois, les difficultés principales proviennent des hélicoptères.

Le taux de disponibilité du Tigre (fleuron industriel européen) est de 40 à 50 % selon le général Olivier Gourlez de la Motte, contre 75% pour le parc d’hélicoptères bien plus ancien comme les Gazelles. Pourtant, ces dernières constituent un parc vétuste datant de 1971 usé par l’Afghanistan et le Tchad.

Deux Tigres sont au tapis. L’un ayant reçu 27 impacts de ferraille (seulement) et un autre touché sur une pale sont immobilisés.

Un Caracal du 4ème RHFS ayant eu un souci de turbine a été endommagé par un atterrissage forcé abimant son nez (pod de reconnaissance) et sa poutre. Qui plus est, le Caracal est l’objet d’une restriction d’usage posée par son constructeur, entrainant le recours aux anciens PUMA Resco.

L’utilisation d’hélicoptères a engendré bien plus d’attrition qu’en Lybie ou en Afghanistan.

En 50 jours de combats 6 hélicoptères ont été sévèrement endommagés.

Est-ce là l’une des raisons du coût de SERVAL : 2,7 millions d’€ par jour contre 1,4 million en Afghanistan ?

Mais les aéronefs français ne sont pas les seuls à rencontrer de tels ennuis.

Le 13 mars 2013 un hélicoptère malien se crashe à Diabaly faisant 1 mort (soldat burkinabé) et 3 blessés.

Le 18 mars 2013, en Mauritanie, un Tucano s’écrase. Doté de 4 paniers de roquettes, d’un canon et deux mitrailleuses, c’est un avion de contre insurrection. En 2010 Pékin avait accordé un financement destiné à son acquisition avec une aide de 1 million de dollars, aide destinée à permettre à l’armée mauritanienne d’intervenir au Nord Mali. Le Burkina Faso dispose du même modèle. Le Sénégal vient de signer en avril 2013 un contrat pour des super Tucano.

Le 11 avril 2013, un second hélicoptère malien (piloté par des ukrainiens) se crashe faisant 5 morts dont 1 colonel.

Le 6 mai, c’est un Alphajet nigérien participant à la MISMA qui s’écrase tuant ses deux pilotes. Le porte parole des forces aériennes nigériennes a déclaré dans un 1er temps que l’aéronef n’a pas été abattu avant de se contredire « nous ne savons pas si l’avion a été touché par une arme antiaérienne ». Le Niger accueille des troupes françaises et américaines opérant des drones surveillant le Mali. Or, les Alphajets nigériens interviennent en appui sur les zones de Mékana et d’Ansongo.

VIII/ Les Touaregs

Dans le déclenchement de l’opération SERVAL, la question Touareg semble centrale. Elle l’est d’autant plus avec l’indépendance du Sud soudan et la persistance de la résistance du peuple sahraoui à la colonisation marocaine.

La résolution 2085 (20 décembre 2012) comme la 2100 (25 avril 2013) réaffirme la souveraineté du Mali.

C’est une réponse à la demande du MNLA du 22 janvier 2012 sur la base de l’article 1 de la Charte des Nations Unies d’organisation d’une consultation populaire sur l’autodétermination et à son projet politique porte notamment sur l’annulation de tous les contrats signés par l’Etat malien dans l’Azawad et relatifs aux richesses naturelles. Le nord du Mali abrite, en effet, les principales réserves pétrolières, 2 filons d’uranium, 3 de manganèse, 1 d’or, 1 de phosphate.

Rockgate qui explore le nord malien estime que « le Mali offre un environnement de classe mondiale pour l’exploitation minière » pour l’or et l’uranium.

AREVA n’est pas en reste avec une exploitation de 5 000 tonnes d’uranium à Faléa au Mali, à la frontière avec la Guinée et le Sénégal où elle a investi pour 290 millions de dollars.

Ce n’est donc par un hasard si l’armée française et Mohamed Ag Najim, chef d’Etat major du MNLA cohabitent à Kidal, ville dont l’armée malienne est bannie.

Pour protéger les intérêts économiques de groupes français, l’armée française renverse donc ses alliances. Le 2 mai 2013, Ledrian qualifie le MNLA d’interlocuteur, alors qu’il recycle des djihadistes. Le 17 ou le 18 mai, l’aviation française aurait protégé le MNLA en frappant le Mouvement Arabe de l’Azawad à une centaine de km de Kidal, à Anefis. L’armée malienne dénoncera cette intervention aérienne.

Le 19 mai Intalla Ag Attaher quitte le MNLA pour créer le Haut conseil de l’Azawad où l’on retrouve mélangés des membres du MNLA et d’Ansar Eddine. Son fils dissout le Mouvement Islamique de l’Azawad. Il s’agit d’un relooking pour permettre sa réintroduction dans le jeu politique sous la forme d’une organisation qui n’a aucun lien avec Ansar Eddine.

Les troupes du MNLA sont utilisées contre les djihadistes, dans un combat couplé avec l’armée française. Ce renversement est tel que le MNLA accuse le 29 mai l’armée malienne d’alliance avec le MUJAO.

Bert Koenders qui prend la tête de la mission onusienne au Mali opère la même stratégie. A peine arrivé, il entreprend immédiatement des discussions avec le MNLA au grand dam des autorités maliennes. Le résultat est clair : pas d’armée malienne à Kidal, les Nations et Unies et la France assureront les élections prévues en juillet.

Va-t-on vers un scénario à l’irakienne avec un Kurdistan quasi autonome ? D’autant que la plupart des Maliens du Sud en ont assez des rebellions touarègues et sont peu enthousiastes à l’idée d’un nouveau processus de réconciliation, comme l’estime Baz Lecocq, maître de conférence en histoire à l’université de Ghent.

IX/ Bilan et perspectives maliennes

La résolution 2100 (25 avril 2013) prise en application du Chapitre VII salue « la célérité avec laquelle les forces françaises sont intervenues à la demande des autorités de transition maliennes pour arrêter l’offensive de groupes armés terroristes et extrémistes dans le sud du Mali ». Les décomptes font état de 600 à 700 tués sur 3 500 djihadistes dont 1 200 le 10 janvier fonçaient sur Bamako. Mais où sont les prisonniers ? Il n’y en a pas car les troupes maliennes se sont livrées à des exactions comme l’ont fait avant elles les djihado-narcotrafiquants.

Un processus électoral est en cours avec le 7 juillet une élection présidentielle, puis le 21 juillet des législatives. Les opérations électorales permettront surtout de procéder à un fichage massif des Maliens. Un processus dont l’IRIN service du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies dit qu’il est précipité et donc non sans danger. En effet, Siaka Sangaré, membre de la Délégation générale aux élections (DGE) reconnaît que cet organisme gouvernemental malien procède à l’inscription biométrique des électeurs. Pour rappel, en Iraq, les troupes d’occupation ont réalisé 2 millions d’enregistrements biométriques…

Tout cela sous le contrôle d’une MISMA devenue MINUSMA dotées de 11 200 hommes, plus seulement africains (des soldats chinois sont attendus) avec un budget envisagé à hauteur de 700 millions d’€, mais doté de seulement 338 millions.

Pendant ce temps le peuple malien souffre, notamment les 475 000 déplacés dont 230 000 à l’extérieur du Mali.

L’UNICEF constate une explosion de la prostitution. A elles-seules, les 3 villes de Mopti, Sévaré, Bamako comptent 3 800 prostituées. Beaucoup ont fui les risques de viol en 2012 à Gao, Kidal et Tombouctou commis par les djihado-narcotrafiquants pour tomber dans la prostitution auprès des soldats maliens (à 2 dollars par jour) et les bras d’ONG catholiques comme Catholic Relief. Cette association de droit américain créée par la Conférence Episcopale des Etats-Unis d’Amérique est basée dans le Maryland, un État qui abrite de nombreuses bases militaires américaines notamment les fameuses bases d’Andrews et de Fort Detrick.

Elle met en œuvre les mêmes pratiques que les islamistes. Elle distribue comme eux de l’argent. Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne en charge du contre terrorisme souligne dans ce sens que les 2/3 de ceux qui rejoignent les rangs islamistes au Sahel le font pour l’argent et survivre. Comme nous le disions plus haut en 2012, 18 millions de personnes ont souffert de la faim au Sahel.

A Sévaré, a été constatée une hausse du SIDA chez les donneurs de sang. L’UNICEF présente au Mali s’attend à une multiplication des travailleuses du sexe avec l’arrivée de troupes internationales (11 000 hommes).

L’arrivée de cette masse humaine représentant de nombreuses nationalités démontre également le phénomène d’internationalisation du conflit malien.

D’ailleurs, dans sa résolution 2100 (2013), le Conseil de sécurité des Nations Unis reconnait que la crise malienne s’étend « aux abords immédiats ou à l’intérieur de la zone de responsabilité de la MINUSMA »

Une des raisons de cette contagion réside dans les appétits voraces d’AREVA qui déstabilisent cette région. Le conflit malien s’est ainsi exporté au Niger où le COS français est intervenu le 23 mai 2013 pour protéger AREVA. 20 militaires nigériens ont été tués ainsi que 10 djihadistes du MUJAO lors d’un « In amenas » nigérien. Déjà le 16 septembre 2010, 5 otages avaient été pris à Arlit. Il est à noter que la sécurité d’AREVA sur place est assurée par un ancien chef de corps du 1er RPIMA, le général Chéreau.

Mais la contamination risque de prendre un tour plus grave, en s’invitant dans les relations antagonistes qu’entretiennent l’Algérie et le Maroc

IX/ L’Algérie véritable objectif

Dans le conflit malien, le Maroc a joué et joue un rôle central qui s’inscrit dans une stratégie de « containment » de l’Algérie.

L’Algérie s’est prononcée contre toute intervention en Iraq, en Libye, en Syrie. Elle demeure aujourd’hui, le seul État arabe prenant une forme républicaine, non gouverné par les islamistes et doté d’une armée solide. Tous les autres États arabes militairement puissants sont désormais des monarchies théocratiques ou des républiques dirigées par les islamistes.

Mais revenons au Maroc. Celui-ci présidait le Conseil de sécurité des Nations Unis lors de l’adoption de la résolution 2085 (2012). Devant le Conseil, le 20 décembre 2012, le ministre malien des affaires étrangères a ainsi expliqué que « le mandat du Maroc à la présidence du Conseil a permis de faire avancer le processus de règlement de la crise malienne ».

Le Maroc n’a pas fait que cela. Il a ouvert immédiatement son espace aérien aux avions français.

Le chercheur Anouar Boukhars, américano – marocain, lui aussi basé au Maryland (Mac Daniel College) révèle au demeurant que le Maroc est en alerte depuis SERVAL et que de nombreux marocains ont rejoints les groupes au Mali. Qu’y font-ils ? Dans le New York Times du 16 janvier, il menace même Alger : « Si l’Algérie refuse de s’engager dans le conflit au Mali, alors la communauté internationale devra chercher le leadership du coté du Maroc ».

En échange de ses bons services, le Maroc a obtenu sur le Sahara Occidental, le recul des Etats-Unis (et de la France) sur les droits du peuple sahraoui par le biais du refus de l’élargissement du contrôle du respect des droits humains par la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Le Maroc a également exercé un chantage opérationnel quant à un report d’un exercice conjoint réunissant 900 soldats marocains et 1400 américains.

Il a surtout obtenu des armes et est devenu le principal partenaire américain au Maghreb. Le Maroc est aujourd’hui l’Arabie saoudite du Maghreb.

Preuve en est la vente au royaume chérifien de 24 F16 bloc 52 améliorés par des sociétés israéliennes : matériel de navigation, réservoirs conformaux, même livrée (couleur) que les F16 Soufa israéliens, missile AIM Sidewinder, pod sniper de frappe au sol. Il s’agit là d’une force aérienne supérieure à celle du groupe aéronaval français Charles De Gaule et même supérieure aux forces aériennes portugaises (21 F16) et autrichiennes (18 Typhoon). L’Arabie Saoudite a financé cet achat qui n’est pas le seul.

Rabat a également obtenu : 24 avions T6 texan d’entrainement, 4 avions C27 Spartan (130 millions d’€), des drones, 20 véhicules blindés Lenco Bearcats, 3 hélicoptère Chinook, 60 canons automoteurs M109.

Les Etats-Unis ont enfin doté le Maroc d’un poing blindé constitué de 200 chars Abrahms américains, le principal char de bataille que l’armée américaine utilise en Afghanistan et en Iraq. Par comparaison, l’Arabie Saoudite en détient 373 et le Koweït 218. La France ne dispose que de 254 chars Leclerc. Ils viendront renforcer une arme blindée composée de 100 T72 et 300 M 60 plus anciens.

Quant à la France elle a procédé à la modernisation de 27 Mirage F1 marocains qui peuvent désormais tirer l’AASM et a accepté le lancement d’un satellite militaire marocain construit par Thales. Elle a vendu au Royaume une frégate lourde et furtive de type FREMM (470 millions d’euros).

La Chine participe elle-aussi au renforcement du Maroc avec la livraison de 57 chars de type 90 et de 34 lances roquettes de 150 km de portée.

D’autres fournisseurs sont enfin présents dans cette stratégie d’armement du Maroc contre l’Algérie comme la Belgique avec 110 véhicules blindés AIFV (équivalent du M113), les Pays-Bas avec 3 frégates. Celles-ci rejoindront la base de Ksar Sghir, modernisée.

Le Maroc participerait-il à la mise en œuvre de la politique dite des dominos initiée par Bush junior et consistant à faire tomber un à un les régimes arabes républicains ?

L’Algérie est désormais encerclée avec à l’ouest un Maroc surarmé (soutenu par l’Arabie saoudite et Israël), des forces françaises qui survolent son territoire et qui sont positionnées à ses portes sud. Le général français Jean Maurin quelques jours seulement après le déclenchement de SERVAL déclarait « puisque le front Polisariobénéficie de l’appui de l’Algérie dans sa guerre contre le Maroc, le royaume peut compter sur le soutient de la France qui considère, sage et réaliste son plan d’autonomie au Sahara ». Ce général de brigade n’est pas n’importe qui. Ce légionnaire a été nommé adjoint au sous-chef d’état-major en charge des relations internationales de l’état-major des armées le 16 juillet 2012 par François Hollande.

Au nord, à Moron en Espagne, se trouve une Force de réaction rapide de l’US Marines Corps avec 6 MV 22 Ospreys et 2 ravitailleurs KC 130 et une autre à Sigonella, en Sicile. Les forces politiques algériennes qui ont dénoncé ce déploiement ont été convoquées par l’ambassade américaine à Alger où il leur a été déclaré « Les Etats-Unis n’interviendront pas en Algérie sans l’accord des autorités algériennes ». En Méditerranée se trouve également le porte-avions Charles De Gaule dont la doctrine d’emploi comprend la planification d’une intervention en Algérie visant à contrôler la bande côtière.

A l’Est, l’Algérie doit contrôler 960 kilomètres de frontière avec la Libye. 7 000 gendarmes du Groupement de la Garde frontière (GGF) ont été dépêchés sur cette ligne aux cotés de 5 bataillons de l’Armée nationale populaire (ANP). En mai 2013, du poste frontalier Taleb El Arbi (wilaya d’El Oued) jusqu’à Tamanrasset, l’ANP a aligné, le long de la frontière sud-est, des milliers de conteneurs remplis de sable pour parer à toute infiltration extérieure de Tunisie et de Libye.

Mais l’Algérie connaît également un front intérieur comme en témoigne l’attaque contre le complexe gazier d’In Amenas, le 16 janvier 2013, 5 jours après le lancement de SERVAL. Cette opération de déstabilisation fera une victime française, Yan Desjeux, responsable de la sécurité sur place, mais surtout ancien opérateur du 1er RPIMA du 6ème RPIMA, ayant servi dans le Golfe, en Bosnie, en Afrique et Afghanistan.

Le front intérieur se caractérise également par le fait que la facture alimentaire de l’Algérie enregistrée sur les quatre premiers mois de 2013 a connu une hausse de 18,7% par rapport à la même période de l’année écoulée. De quoi susciter des émeutes populaires. D’autant que dans le même temps, le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, indiquait que les recettes des hydrocarbures, durant le premier trimestre de 2013, ont baissé de près de trois milliards de dollars, soit l’équivalent de 30% du budget de la défense et une réduction sérieuse de la capacité de l’Etat algérien à maintenir la paix sociale.

Tout cela intervient alors que le Président algérien est gravement malade, au point d’avoir du se rendre en France pour être soigné. Certains y voient un parallèle avec le voyage De Gaule en Allemagne en plein mai 1968, un moment où un cours instant l’armée française envisagea de reprendre les reines du pouvoir, sur fond de vacuité politique.

L’année 2014 apparaît ainsi comme celle de tous les dangers, avec une réforme constitutionnelle et une élection présidentielle.

L’Algérie est un exemple de part sa guerre de libération nationale et de par sa résistance au remodelage du Maghreb et du Machrek initié sous Bush et poursuivi par Obama. Recomposition qui s’appuie sur la théorie des dominos : chaque domino qui tombe en entraîne un autre : Iraq, Libye, Syrie, Egypte, Tunisie (sans que cela signifie pour nous le soutien à leur ancien régime respectif).

Grâce aux hydrocarbures, l’Algérie dispose d’une capacité de résistance qui lui permet d’injecter 10 milliards d’euros dans son budget militaire. Pour préserver cet atout, elle a refusé de s’engager en Libye puis au Mali.

La revue française intitulée TTU (Très Très Urgent) et consacrée aux questions de défense écrivait sur son blog, le 3 mai 2013 : « à l’avenir, les forces françaises pourraient être amenées à faire à nouveau face à ce type de combattants aguerris, qui se réorganisent et se reconditionnent aujourd’hui dans les sud libyens et tunisiens. Avec comme inconnue leur prochaine destination : Mali, Tchad ou Algérie ? ».

L’Algérie n’est pas mentionnée au grès du hasard par un média français bien introduit dans l’appareil militaire.

D’autant que quelques jours plus tard, le capitaine Grégory Boutherin, chef de l’équipe « Prospective et études de sécurité » du Centre de recherche de l’armée de l’air expliquait la méthode « l’activation de l’opposition interne à ses États pourrait être précisément l’un des objectifs de la phase initiale de l’intervention », en vue « d’actions de déstabilisation, de lutte informatique, etc. ».

On comprend pourquoi les membres de l’opposition qui ont dénoncé le risque d’une intervention occidentale en Algérie ont été convoqués sine die à l’ambassade des Etats-Unis.

L’entreprise a d’ailleurs débuté comme le souligne la députée d’opposition (trotskyste), Nadia Chouitem: « En Algérie même, des ONG comme Freedom House, NED, Canvas, connues pour être liées à la CIA, essaient d’infiltrer des mouvements sociaux revendicatifs pour les dévier et les pousser à aller, au lieu de négocier, vers l’impasse, l’émeute, l’anarchie, et donc vers une situation de trouble qui justifierait une intervention étrangère. Par exemple, alors que les jeunes manifestent légitimement pour la création de vrais emplois, contre la précarité et l’exploitation, les animateurs jeunes de Canvas proposent de poser la question de l’emploi dans un cadre séparatiste, du sud de l’Algérie, c’est-à-dire là où il y a les grandes richesses minières, pétrolières et gazières ».

Il y presque un siècle, en 1912, Rosa Luxembourg (in « L’accumulation du Capital », chapitre XXVII intitulé « La lutte contre l’économie naturelle ») entrevoyait déjà un processus qu’elle dénommait « la vivisection de l’Algérie » en observant le sort qui lui était réservé. L’histoire est un éternel recommencement.

L’auteur, Karim Lakjaâ, est Docteur en droit, ancien envoyé spécial à Bagdad de Jeune Afrique. http://intelligere.mundum.overblog.com).

This entry was posted in Bourgeoisie, guerre impérialiste. Bookmark the permalink.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>