Où va la Turquie ?

Et maintenant la place TaksimQuestions posées par Prométhée à Gülçin Erdi Lelandais, chargée de recherche CNRS à l’Université de Tours. Elle a publié : Altermondialistes en Turquie à L’Harmattan (Paris,2011) et Quartiers de contestation…quartiers d’exclusion : politiques d’urbanisation et résistances populaires à Istanbul dans la numéro 76 (2010) de Cultures & Conflits.

Comment se déroule ce moment magique où les exploités deviennent soudain ce que Marx appelait « une classe pour soi » ? Est-ce la même nature que Occupy Wall street etc. ou différent ?

On ne peut pas parler du mouvement des exploités pour la mobilisation autour de Gezi La mobilisation réunit des couches de la société très diverses avec des sensibilités politiques différentes (kémalistes, nationalistes, écologistes, extrême-gauche ensemble). Le mouvement reste majoritairement jeune et étudiant, ceux qui n’ont pas encore accédé réellement au marché du travail. On ne peut pas parler d’une conscience de classe. La lutte de classe n’a jamais été la motivation. Dans les formes d’action, ce mouvement ressemble beaucoup aux mouvements des Indignés puisque les gens sont descendus dans la rue en raison de leur indignation contre la violence policière et la destruction des arbres.

En revanche, leur cible n’est pas la pauvreté, le chômage ou la spéculation boursière. Leur action s’inscrit dans un refus du système néolibéral qui est mis en pratique par le gouvernement d’une matière autoritaire. Ils s’opposent également aux actions de plus en plus conservatrices du gouvernement qui intervient de plus en plus dans la vie privée et même sexuelle de ses citoyens (avortement, maquillages, appel aux comportements corrects des couples dans l’espace publique, alcool, demande aux familles d’avoir trois enfants, restrictions sur les pilules, etc.)

La Turquie redevient-elle « le maillon faible de l’impérialisme » ? L’endroit d’où peut partir la révolution prolétarienne , ce que certains courants en Turquie pensaient avant l’époque du coup d’Etat et même encore en 1981 (cf. la tendance de gauche Isçinin Sesi du TKP ).

Je ne pense pas pour l’instant. Le fait que ce soit une mobilisation sans organisation empêche pour l’instant qu’elle débouche sur des demandes politiques bien formulées visant l’accès au pouvoir politique. De plus, l’impérialisme quand il vient de la Turquie elle-même envers les autres ne choque pas autant la plupart des gens en Turquie. Ils le considèrent comme la signe de la puissance de la Turquie (je ne parle pas là des manifestants de Gezi). En revanche, cette mobilisation est très importante dans la mesure où elle a permis la discussion sans censure dans l’espace publique des dérives autoritaires et liberticides des politiques urbaines néolibérales dans sa globalité.

Quelle place la gauche (l’extrême-gauche) joue-t-elle dans le mouvement ? Les différents groupes parviennent-ils à surmonter division et sectarisme ? Sont-ils « dépassés »‘ par le mouvement de masse etc. ?

Au départ, ce mouvement a été lancé par des activistes à sensibilité d’extrême-gauche. Ceci est incontestable. Mais le fait qu’ils ne trouvent pas un écho sur des couches populaires élargies est un véritable problème. Les préjugés sur l’extrême-gauche existent toujours en Turquie et les méfiances parmi ces groupes ne facilitent pas la tâche. Ils sont encore qualifiés de « marginal », le gouvernement n’hésite pas à utiliser le terme « illégal » alors que nombreux groupes d’extrême-gauche ont un statut juridique légal.

A l’heure actuelle ils sont un peu dépassé par le mouvement de masse. La position réticente du mouvement kurde et de son parti ne facilite pas non plus à faire passer le message (*). Une autre faiblesse est également la position des syndicats qui n’est pas suffisamment puissante. Ils n’ont pas encore su se joindre en masse à ce mouvement, malgré l’appel à plusieurs journées de grève générale. C’est une erreur fatale dans la mesure où l’unification des jeunes et des ouvriers pourrait avoir un impact davantage important sur le gouvernement et sur l’avenir de la Turquie.

(*) Note de GEL : Quand je parle de la réticence du mouvement kurde, je parle de leur position dans cette résistance Gezi en raison de leur processus de négociation de paix avec le gouvernement.
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