En Tunisie, en Grèce, en Espagne, même aux Etats-Unis et dans bien d’autres pays – y compris en France – s’exprime une aspiration démocratique à s’affranchir du joug de l’exploitation, de l’oppression et de l’aliénation. Cette aspiration connaît – et connaîtra – des hauts et des bas, des succès et des revers. Mais l’essentiel réside dans le fait qu’elle agit, donc qu’elle existe. Elle est en passe de conquérir une légitimité sociale et politique. Dans les pays de vieille tradition électorale, tant que les opprimés s’exprimeront dans le cadre institutionnel fixé par le système, la réponse électorale apparaîtra comme la continuité de l’état d’esprit des masses, de leurs luttes quotidiennes.
Cette aspiration se heurtera aux dures lois du capitalisme (non votées par le Parlement de la République) tant que ne sera pas posée la question de la lutte politique pour le socialisme. En France, force est de constater que les organisations qui se fixent comme objectif de donner un contenu politique à cette aspiration passent à côté de cette question.
Le programme du Front de gauche (FDG) affiche sa « volonté inflexible de résister à la finance » (page 11) mais celle-ci se fracasse sur la position concernant la dette dite publique : « Nous agirons pour le réaménagement négocié des dettes publiques, l’échelonnement des remboursements, la baisse des taux d’intérêts les concernant et leur annulation partielle » (page 70). En réalité, le FDG limite volontairement ses ambitions à « un gouvernement de gauche [qui] fasse du bon travail et ouvre une issue à la crise [souligné par nous] » (page 11). Ce qui place la barre en deçà du Programme commun de la gauche de 1972, alors que le modèle de Jean-Luc Mélenchon reste un certain François Mitterrand. En effet, dans le préambule de ce programme on lisait que le PS et le PCF « affirment ensemble leur volonté de mettre fin aux injustices et aux incohérences du régime actuel » ce qui correspond à la logique des organisations composant le FDG. Mais le programme de 1972 présentait cet objectif comme une étape préalable « pour ouvrir la voie au socialisme » (1) Ce qui n’est pas le cas du FDG quarante plus tard.
Pour sa part la direction du NPA cantonne la campagne Poutou à : « faire entendre le mécontentement du monde du travail, de la jeunesse, ouvrir une perspective hors des alliances parlementaires et gouvernementales, défendre un bouclier social face à la crise, redonner confiance en combinant démarches unitaires et indépendance politique. Nous voulons convaincre un maximum de gens que la solution réside dans la nécessité de construire les mobilisations pour résister à toutes les politiques d’austérité quel que soit le résultat des élections. » (2) Pour Lutte ouvrière, les travailleurs étant toujours démoralisés, la question ne se pose même pas.
Il est vrai qu’une campagne électorale n’a pas pour objectif de présenter le programme achevé pour la révolution prolétarienne à supposer qu’un tel programme existe. Mais, une campagne électorale s’interdit de générer des illusions, elle soulève l’enjeu effectif du moment considéré de la lutte des classes. Cet enjeu réside dans l’état de crise. Il ne s’agit ni d’une crise économique de plus, quoique plus grave que les précédentes, ni d’une crise politique de plus. Il s’agit d’une crise systémique. Et l’Union européenne est devenu le maillon faible de la chaîne impérialiste en crise.
L’offensive libérale depuis le coup d’Etat de Pinochet – en passant par la restauration du capitalisme en URSS – a ravagé la planète. Toutes les résistances se sont partout heurtées à l’inflexibilité du système, à la propagande de l’impossibilité de faire autrement. On ne peut pas y faire face avec des mesures qui laissent intactes les rouages du système capitaliste. On ne peut y faire face en se limitant à voter ou à défiler plusieurs fois par an. On ne peut pas y faire face en résistant à l’austérité permanente et à la tentation de l’autoritarisme politique qui commence par changer les gouvernements grec et italien en bafouant le suffrage universel.
La bourgeoisie forme un système centralisé d’une part comme « puissance sociale » (3) et d’autre part dans le cadre de l’Etat autrement dit « le pouvoir politique » qui « est précisément le résumé officiel de l’antagonisme dans la société civile » (4). Ce qui implique un long et patient travail politique pour démonter pierre par pierre les stratégies que la bourgeoisie met en action, pour démystifier l’authentique pouvoir (celui de la classe dominante) et pour désacraliser le système, c’est-à-dire en finir avec la thèse officielle qu’il n’y a pas d’autre choix. L’heure n’est plus à vouloir humaniser le capitalisme. L’heure n’est pas à attendre la prochaine agression pour y résister. Pour les exploités, l’heure est à inventer un projet alternatif pas pour un lointain futur mais pour ici et maintenant.
Emile Fabrol
1.- Editions sociales, page 49.
2.- Résolution adoptée le 25 mars 2012.
3.- Marx et Engels, Le Manifeste du parti communiste. Editions sociales, 1961, page 28.
4.- Marx, Misère de la philosophie, La Pléiade, Oeuvres économiques I, page 136.