Commençons par tordre le cou à la dernière trouvaille du Président-candidat pour sauver le pays (après avoir déjà sauvé le monde). Le mal dont souffre le pays serait le « coût du travail ». On pourrait lui rétorquer simplement que les causes de ce mal résident plutôt dans le coût du capital qui parasite l’activité des travailleurs-producteurs. Les propositions de Nicolas Sarkozy sont une offensive généralisée contre le monde du travail. Cette offensive, après deux plans successifs de rigueur de 2011, passe par une étape décisive dans le processus d’étatisation-privatisation de la Sécurité sociale avec le transfert d’une partie des cotisations vers la TVA, cet impôt indirect, réputé indolore et surtout injuste. Cette offensive se poursuit par le projet dit « compétitivité emploi » qui n’est rien d’autre qu’un grand pas en direction de la liquidation du droit du travail. C’est exactement ce que dit le Président au Figaro magazine du 11 février : « si dans l’entreprise, les salariés et le chef d’entreprise se mettent d’accord sur l’emploi, le salaire et la flexibilité, alors leur accord aura autorité sur la loi et primera sur le contrat de travail individuel. » Et pourtant son principal conseiller, Henri Guaino, l’avait prévenu : « lorsque l’équilibre du marché du travail ne garantit plus l’équilibre des forces dans la négociation, la loi du contrat devient fatalement la loi du plus fort », c’est-à-dire du patronat. Il est vrai que c’était en… 2004 (2). Tout salarié sait qu’il n’est pas sur un pied d’égalité avec son patron, c’est pour cela que les travailleurs se sont regroupés en syndicats pour tenter d’imposer des conventions collectives ou des statuts à leur employeur privé ou public.
Une pure logique capitaliste
Il n’y a rien de neuf dans la nouvelle croisade présidentielle contre le « coût du travail ». C’est de la pure logique capitaliste, dont les combats du passé étaient parvenus à limiter les dégâts. Aujourd’hui, la crise du capitalisme est telle que ses serviteurs politiques en reviennent aux fondamentaux qu’ils nous présentent comme du simple « bon sens ». Et, à moins d’être des demeurés, nous devrions nous incliner.
Déjà dans le Capital, Karl Marx décrit les véritables aspirations des capitalistes en partant du processus de mondialisation, cette « concurrence cosmopolite dans laquelle le développement capitaliste a jeté tous les travailleurs du globe ». Il écrit : « Il ne s’agit plus seulement de réduire les salaires anglais au niveau de ceux de l’Europe continentale, mais de faire descendre, dans un avenir plus ou moins prochain, le niveau européen au niveau chinois. Voilà la perspective que M Stapleton, membre du Parlement anglais, est venu dévoiler à ses électeurs dans une adresse sur le prix du travail dans l’avenir : »Si la Chine, dit-il, devient un grand pays manufacturier, je ne vois pas comment la population industrielle de l’Europe saurait soutenir la lutte sans descendre au niveau de ses concurrents ». » (3)
A l’époque de Marx les serviteurs du capital étaient finalement plus francs que les actuels. Mais la logique de l’assassinat du peuple grec et qui s’étend peu à peu à l’ensemble des pays de l’Union européenne est rigoureusement identique à celle de M Stapleton.
Quand la Cour des comptes fixe l’action du gouvernement sorti des urnes
Avec sa légendaire prudence Le Monde du 9 février titre : « La Cour des comptes préconise une véritable cure d’austérité ». C’est le moins que l’on puisse dire à la lecture du rapport remis le 7 février au Président de la République par Didier Migaud le très socialiste président de la Cour des comptes et un des pères fondateurs de la loi d’orientation des lois de finance. Cette loi fut votée en juin 2001 dans un ensemble touchant des parlementaires de droite et ceux du PS (dont Arnaud Montebourg). Les élus PCF considérant qu’elle était un « outil de l’austérité budgétaire » décidèrent de s’abstenir (solidarité gouvernementale oblige). Quant à Jean-Luc Mélenchon, il était ministre du gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac.
Du rapport de la Cour se dégage trois axes principaux. Le premier présente la réduction des dépenses publiques comme le seul et unique levier d’action « en raison du niveau déjà atteint par les prélèvements obligatoires. » Le deuxième consiste à imposer aux collectivités territoriales un traitement de choc inspiré par la révision générale des politiques publiques. D’après le principe de « bon sens » il y aurait trop de fonctionnaires. On n’en est pas encore au licenciement comme en Grèce, ni au non remplacement de deux fonctionnaires sur trois selon le voeu de Laurence Parisot et du MEDEF mais telle est la perspective émise par la Cour des comptes.
Le troisième et dernier axe consiste à ne plus financer à crédit la Sécurité sociale. Exonération et suppression de cotisations, chômage de masse et stagnation des salaires ne seraient donc pas à l’origine du déficit constaté. Remarquons au passage que le budget de la Sécurité sociale (santé, famille, accidents du travail et retraites) représente 46% des dépenses publiques. Dès lors on comprend mieux l’acharnement à démanteler cette conquête sociale. Nous sommes bel et bien confronté à une guerre sociale conduite par la bourgeoisie.
Dans les pas du nouveau traité européen
La philosophie du rapport de la Cour des comptes est une stricte application des critères du traité de Maastricht lourdement aggravés par le futur traité européen signé par 25 États sur 27. Deux points essentiels se dégagent de ce texte : des budgets normatifs et des sanctions automatiques.
Chaque État sera mis sous surveillance et son déficit budgétaire ne devra pas excéder 0,5% du PIB. Actuellement, c’est 3%. Quand on prend la mesure de l’ampleur des politiques d’austérité en direction exclusive de la population laborieuse, on n’arrive pas à imaginer les conséquences de la nouvelle règle à moins de faire un cauchemar. Si un État ne parvient pas à respecter la norme, les sanctions – déjà prévues par le traité de Maastricht – seront désormais automatiques. Pire, l’article 6 prévoit qu’une : « partie contractante [c'est comme cela maintenant que l'on désigne les États, cette notion relève du droit privé] peut saisir la Cour européenne de justice » à l’encontre d’une autre « partie contractante ». Bonjour l’ambiance chez les bourgeois !
Soyons clairs, il ne s’agit pas de transferts de souveraineté du niveau étatique à un niveau fédéral qui n’existe pas (et qui ne peut exister dans le cadre bourgeois). Même les collectivités territoriales en France ont, pour le moment, un degré d’autonomie plus grand. Il s’agit de l’extension du gouvernement des experts et des juges puisqu’en dernier recours la Cour européenne de justice sera l’instance qui dira ce que devra être un budget, donc la politique à suivre.
Austérité permanente et régime politique libéré du suffrage universel sont les deux mamelle du destin que les bourgeoisies européennes veulent imposer aux travailleurs du vieux continent. Bref, l’aventure !
Nicolas Sarkozy prépare sa succession
Bis repetita, tel est le suprême espoir de l’actuel locataire de l’Elysée. Et si tel n’était pas le cas au soir du 6 mai, il aura imposé les contre-réformes essentielles à la survie du capitalisme comme celles des retraites, de l’université, la casse des services publics, etc.
Même si la bourgeoisie n’est toujours pas pleinement satisfaite, même si elle « n’a pas encore trouvé une issue politique stable, une issue capable de museler ce peuple qui n’en finit pas d’exprimer son rejet de la logique politique depuis presque un quart de siècle » comme nous l’écrivions en mars 2007 (4), ce quinquennat aura finalement été moins chaotique que le précédent (Chirac). Nicolas Sarkozy peut donc considérer qu’avoir « pu faire tous ces changements, toutes ces réformes, sans qu’il y ait eu de blocage est un motif de satisfaction. » (5)
Force est de constater qu’il a bien été aidé par l’attitude des directions des grandes centrales syndicales qui n’ont jamais rompu le « dialogue social » même durant la lutte pour empêcher que l’âge de départ à la retraite soit porté à 62 ans et ses manifestations rassemblant plusieurs millions de personnes. Vivement le jour où les syndicats cesseront de se laisser enfumer. Vivement le jour où ils prendront conscience qu’ils « manquent entièrement leur but lorsqu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat. » (6)
Pour revenir à Nicolas Sarkozy – la médaille d’or de l’explosion du chômage et de la dette – il affiche, encore une fois, les pires aspects des valeurs traditionalistes de la bourgeoisie française. Celles qui désignent à la vindicte de l’homme de « bon sens » les gueux, les « assistés », les chômeurs, les immigrés, etc. Celles du colonialisme et de la théorie du choc des civilisations. Les mots clés de son entretien au Figaro magazine sont particulièrement significatifs : travail, responsabilité, autorité, famille et racines chrétiennes de la France. En 2007 l’homme, qui commença son mandat avec les riches au Fouquet’s et qui le finit en faisant les poches des pauvres, brandissait une liste semblable quoiqu’un peu plus longue : morale, récompense, équité, ordre, mérite, responsabilité, travail, famille, nation, honnêteté, autorité et respect.
Afin que le tableau soit complet, Nicolas Sarkozy remet à l’honneur toutes les traditions du 19e siècle en particulier. D’une part, les sentiments nationalistes et chauvins avec son slogan « La France forte. » D’autre part, le référendum – ou plus exactement le plébiscite – à la mode Napoléon III. Incroyable retournement idéologique pour quelqu’un qui a fait modifier par le Parlement le vote populaire sur le traité constitutionnel européen, ou encore qui a vu rouge lorsque Papandreou a émis le voeu de consulter le peuple grec, ce qui lui a valu d’être limogé par le directoire Merkel-Sarkozy et remplacé par un gouvernement dit technique confié à un homme de Goldman Sachs.
La première fois l’histoire bégaie, la seconde fois c’est une farce; une farce qui peut se transformer en tragédie grecque.
Il faut que tout cela cesse !
Le présent est bien sombre et l’avenir dessiné par la bourgeoisie s’annonce orageux. Dans cet article nous n’avons pas évoqué le danger que représentent les partis d’extrême-droite. Mais il est impératif de bien prendre la mesure de leur développement dans l’Union européenne, ainsi que de leur présence dans plusieurs gouvernements. En effet, si le mouvement ouvrier ne parvient pas à imposer que la seule sortie de crise effective c’est la sortie du capitalisme, c’est-à-dire le socialisme, alors ces partis peuvent apparaître aux yeux des plus exploités comme une solution possible.
Autre aspect, et non des moindres, qui n’est pas abordé dans cet article mais qui influencera fortement le déroulement des événements. Quels choix fera, dans les prochaines années, la bourgeoisie allemande ? Continuera-t-elle à imposer ses dogmes économiques à l’Union européenne ? Décidera-t-elle d’affirmer seule sa suprématie ? Déjà quelques experts bourgeois s’inquiètent. Pierre-Cyrille Hautcoeur note que la politique d’Angela Merkel « risque de transformer les Allemands en propriétaires d’une Europe ravagée par la dépression… ce qui provoquerait tensions intra-europénnes violentes » (7). Jean-Paul Fitousi ose : « Contre la crise, les politiques européennes doivent relancer la demande. Ne cédons pas aux sirènes de l’austérité destructrices de capital humain » (8). En effet pourquoi ne pas réhabiliter les thèses de Keynes, objectif très largement partagé à la gauche du PS (9). Mais le respect du cadre institutionnel, tant national qu’européen, du capitalisme conduit une telle orientation à l’impasse. Elle est génératrice de cruelles désillusions, pires que celles provoquées par la conversion, en 1983, du PS à la « nécessaire » rigueur. D’autre part, il n’est guère envisageable qu’en réduisant le projet politique à un catalogue revendicatif la classe ouvrière parvienne à convaincre la bourgeoisie qu’elle risque de tout perdre.
François Hollande a, cette fois, toutes les chances d’être en capacité d’empêcher le règne de Sarkozy II. Sans parler de la désastreuse expérience du gouvernement Jospin, sans parler des lamentables résultats de ses amis Zapatero et Papandreou, ses 60 engagements pour la France ne soulèvent pas l’enthousiasme. En particulier l’engagement numéro 9 : « Le déficit public sera réduit à 3% du PIB en 2013. Je rétablirai l’équilibre budgétaire en fin de mandat. » Au delà des effets de tribune, cela possède un très fort lien de parenté avec le futur traité européen qui impose « d’avoir un budget général à l’équilibre ou excédentaire. » Nul besoin de faire la démonstration des inévitables conséquences.
Et pourtant, il monte des masses laborieuses comme un bruit sourd : il faut que cela cesse ! Et ça commence par dégager Sarkozy.
Emile Fabrol
1.- Karl Marx, Critique de l’économie politique, Éditions Quai Voltaire, 1994, page 403.
2.- Le Canard enchaîné du 15 février.
3.- Karl Marx, Le Capital, Livre premier, Chapitre 24, Éditions sociales, 1976, page 428.
4.- Prométhée numéro 67.
5.- Le Figaro magazine du 11 février.
6.- Karl Marx, Salaire, prix et profit, Éditions sociale, 1969, Page 74.
7.- Le Monde économie du 14 février.
8.- Le Monde du 16 février.
9.- Attention aux thèses de Keynes. Ces textes sont loin d’être en faveur de l’augmentation des salaires pour relancer la demande. Sur les salaires? Keynes pensait qu’une baisse des salaires serait efficace si elle était généralisée.