L’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM) et l’Université Paris Sorbonne IV organisaient le 10 janvier dernier une conférence intitulée « De la guerre urbaine à la ville en guerre ».Tout les passages en italiques de ce texte ne sont que des citations exactes et précises des deux chercheurs (une civile et un militaire (colonel)) s’étant exprimés à cette occasion. Il est à noter que ces deux observateurs décrivent des processus qu’ils ne cautionnent pas.
Faire la guerre en ville ou à une ville n’est pas un fait historique nouveau. Cependant les modalités d’intervention de la guerre urbaine sous forme d’actions coercitives consistant à « prendre la ville », puis à la contrôler font que cet espace humain est devenu ce que certains qualifient de « bourbiers urbains », pour les armées de l’OTAN (comme celle de la Russie en Tchétchénie). Pour les militaires et les chercheurs, il en est ainsi parce que dans un monde post Union soviétique, « les acteurs de la déstabilisation », qui sont les nouveaux ennemis ont réinventé ce lieu de pouvoir économique, politique, religieux, scientifique où se concentrent populations, services, autorités publiques et forces de l’ordre.
L’armée s’intéresse d’autant à la ville que l’humanité tend à vivre dans un monde ville, avec des métropoles de plusieurs dizaines de millions d’habitants. Les conflits actuels se déroulent ainsi à Bagdad qui compte 6 millions d’individus, à Kaboul ou à Abidjan rassemblant chacune 4 millions de personnes. A titre de comparaison, la bataille d’Alger en 1957 s’est effectuée dans une unité urbaine de seulement 800 000 habitants. Lorsque Lyautey est chargé de la conquête du Maroc en 1907, la population du pays atteint 8 millions. Il y a donc un changement d’échelle. Pour occuper et contrôler une partie de Bagdad, les Etats-Unis ont du réunir des forces équivalentes à la moitié des effectifs de l’armée de terre française, soit 120 000 auxquels se sont ajoutés 80 000 supplétifs irakiens.
La guerre urbaine apparaît comme un facteur diviseur de force ce au moment où les armées occidentales ou russe connaissent des réductions de forces. Il leur est d’autant plus difficile de regrouper des effectifs « d’une taille critique suffisante ou d’une quantité en soi selon la formule de Lénine ».
Le caractère urbain des prochaines guerres est d’autant souligné que « fragmentation, paupérisation entraînent inévitablement une radicalisation politique ». Il devient de plus en plus difficile de faire cohabiter dans une même cité des couches sociales différentes pour reprendre la phraséologie de Max Weber. Dans cette perspective, les combats peuvent être liés à la « ségrégation sociospatiale classique » de type « gradient de richesse », selon une logique de « purification sociale ».
« Les acteurs de la déstabilisation », dans ce cadre rechercheront l’appropriation de la ville : lieux de cultes mais aussi cimetières, ou par le biais « d’affiches et/ou de tags », car ceux-ci ont des « conséquences sur les pratiques spatiales » des habitants, en « produisant une violence symbolique ».
Se dessine ainsi une « territorialisation de la violence avec ses fragmentations urbaines en quartiers voire territoires », fondée sur une « géographie de la peur, une production de la peur, un enfermement dans le quartier », une « géographie de l’enfermement » des « entraves aux mobilités », « un impossible « habiter » » dans le quartier.
Ce processus ne vous rappelle-t-il pas le discours sur les banlieues ? Si oui, la suite ne pourra que vous intéresser.
En effet, dans la guerre urbaine, il est nécessaire de « produire une menace permanente », de « produire de la peur », afin de « pousser les habitants, à penser le lieu comme « impossible à vivre » » et aboutir ainsi à un « nettoyage territorial ».
Apparaît ainsi insidieusement la « recherche d’une homogénéisation » de la population, avec la « disparition de l’autre et de la mixité ». « La ville espace de la rencontre donc espace d’altérité », disparaît en tant que telle. Est organisé un « refus du vivre ensemble » afin de « provoquer de la haine ».
Les deux chercheurs démontrent que les « populations sont manipulées pour avoir peur de vivre ensemble, manipulées pour s’affronter », autour d’un « imaginaire spatial de l’impossible vivre ensemble ».
Se constituent des « villes ou micro-villes », où se réfugient des habitants pour « ne plus être en situation minoritaire et se mettre en sécurité face à un autre perçu comme un ennemi ». Cela prend la forme de « ségrégation », de « fragmentation », dans « certaines villes de murs physiques, dans d’autres de murs psychologiques ».
Les éléments constitutifs de cette analyse nous donnent un cadre de compréhension des processus à l’œuvre autour des quartiers populaires. Cadre qui s’inscrit dans l’histoire coloniale française. Ainsi, la tactique de l’armée de terre en guerre urbaine est issue de la « tradition infanterie coloniale ».
Même si l’armée française est frappée d’un « syndrome algérien, lié à l’intervention au sein de la population », face à un acteur caché au sein de la masse, usant d’armes légères, et qui aujourd’hui aurait de « nouvelles capacités » grâce « aux technologies actuelles ».
L’appareil bourgeois coercitif se prépare donc à une guerre urbaine en Europe, aboutissement de l’exacerbation de la lutte des classes. Les ennemis sont désignés : « les acteurs de la déstabilisation » et les quartiers populaires où vit une population immigrée dont les grands-parents voire les parents ont connu l’ère coloniale.
Augustin Balby