Russie : Préparer la seconde vague

Boris Kagarlitsky ProméthéeDe grands mouvements de protestations se sont déroulés en décembre dernier à Moscou et Saint-Pétersbourg, contre le trucage des élections à la Douma. Pour l’information de nos lecteurs nous reproduisons la traduction de l’interview accordé par le socialiste russe Boris Kagarlitsky (Directeur de l’Institut de la Globalisation et des Mouvements Sociaux, Russie) à l’hebdomadaire Weekly Worker (Communist Party of Great-Britain – CPGB). [Traduction JME].

WW :Il semble que le mouvement a été très diffus, l’extrême-gauche se trouvant au coude à coude avec l’extrême-droite et les nationalistes. Comment caractériserais-tu cela ?

BK : Depuis quelques années il y a eu un mécontentement croissant par rapport au système actuel parmi les gens -dans ce sens l’effet de la crise économique et sociale a été plus ou moins le même que dans d’autres pays. Mais dans le cas de la Russie nous n’avons pas vu auparavant d’expression active de ce mécontentement. Des millions de gens étaient en colère mais cela ne se traduisait pas en action politique.

De ce fait une partie de l’élite s’est imaginée que les Russes, pour quelque raison culturelle ou psychologique, sont simplement incapables de protester. Les intellectuels pour leur part avaient tendance à expliquer cette anomalie par la peur. Quoi qu’il en soit aucune de ces deux explications n’était correcte. Alors que la population était si passive qu’elle semblait être paralysée, cette situation ne pouvait pas perdurer pour toujours.

En tout cas une génération de jeunes Russes a émergé – ceux qui n’ont pas traversé les désastres des années 90. Cette génération est extrêmement naïve et inexpérimentée, manquant souvent même d’une explication de base des questions économiques et sociales, mais elle est pleine d’énergie et veut changer les choses.

L’internet a joué un rôle dans cet éveil mais il ne faut rien exagérer -pendant un temps dissidence et expressions de mécontentement ont été courantes sur Facebook, mais cela ne s’est pas reflété par des événements dans la rue. La situation a changé, mais même maintenant ceux qui sont dans la rue ne sont pas nécessairement les mêmes personnes que ceux qui s’agitent sur le web.

Les élections à la Douma ont toujours été truquées et de toutes façons ce faux parlement n’a aucun pouvoir réel. Tous les partis impliqués dans le processus électoral – pas seulement la pro-gouvernementale Russie Unie, mais également la soi-disant « opposition »- sont contrôlés par l’administration et la plupart des gens en sont tout à fait conscients , y compris, bien sûr, ceux qui ont participé aux protestations en Décembre. Mais les gens avaient besoin d’un prétexte pour descendre dans la rue et ils l’ont eu avec le trucage des élections.

Ce ne fut pas une grande surprise que les partis d’opposition, dont les votes avient été volés, ont décidé de ne pas soutenir le mouvement. Pourtant certains de leurs membres l’ont fait – en particulier dans le cas du Parti Communiste de la Fédération de Russie, en opposition ouverte avec leurs propres dirigeants.

Quant à l’opposition extra-parlementaire, elle a essayé de bénéficier autant que possible de la nouvelle situation;et jusqu’à un certain point, elle y est parvenue, parce que le gouvernement prétend que les politiciens de l’opposition officielle sont les « représentants » et les « leaders » de la protestation. Cela signifie que, si l’on veut aller à un rassemblement de protestation qui ne soit pas attaqué par la police, on choisit ceux organisés par « la Coalition démocratique ». Cela a marché jusqu’ici mais il y a une frustration croissante parmi la jeunesse à l’initiative du mouvement. Soutenir une coalition qui unit des forces de gauche avec les libéraux et l’extrême-droite, cela à pour prix l’inefficacité. Ces gens manquent de principes et ça leur permet de rester ensemble plutôt facilement, mais ça les empêche en même temps d’élaborer une stratégie politique.

Il y a maintenant un débat u seijn de la gauche. D’un côté, on a certains « socialistes modérés » appuyés par certains anarchistes et Trotskistes, qui disent qu’il est nécessaire de suivre les libéraux car ils jouissent du soutien « des masses ». Cela implique également d’éviter toute discussion sur les sujets sociaux et ne pas mettre en avant d’autre demande que « des élections libres ». De l’autre côté, il y a une tendance qui vise à former une coalition de gauche indépendante capable de formuler son propre agenda et qui refuse d’accompagner les nationalistes de droite et les libéraux. Rabko.Ru, le journal web de l’Institut pour la Recherche globale et les Mouvements Sociaux, essaye d’être l’expression de cette tendance.

WW :Nous avions déjà noté auparavant ce paradoxe faisant que le premier ministre Poutine récoltait jusqu’à 80% d’approbations à titre individuel comme politicien tout en n’enregistrant que de 20 à 320% de soutien pour ses choix politiques même les plus populaires. Cette situation a-t-elle maintenant changé ?

BK : Aujourd’hui Poutine est en grande difficulté. Il est exact que sa popularité péronnelle a été utilisée pour couvrir les politiques néolibérales extrêmement impopulaires qu’il met en œuvre. Mais cela ne pouvait pas continuer toujours. Maintenant sa popularité est en train de s’effondrer car de plus en plus de gens l’associent avec le gouvernement qu’il dirige (au contraire de la période de sa présidence). Le Président Dmitri Medvedev est tout simplement détesté et l’identité évidente entre les deux hommes fait que les choses ne font que s’empirer.

La situation se détériore si vite que les plans pour les ,élections présidentielles de cette année, où poutine se présente de nouveau, ont été remis en question. Il n’y a pas moyen que Poutine soit élu au premier tour sans fraude massive. Et laisser les élections aller jusqu’au deuxième tour est quelque chose que la bourgeoisie russe n’aime pas, parce que cela accroît « l’instabilité ».

Dans la ligne de la théorie de Lénine sur les situations révolutionnaires, il y a maintenant une crise au sommet. L’élite ne sait pas comment conduire le pays -ils ne peuvent à coup sûr pas continuer d’utiliser la vieille méthode. Mais cela n’est pas spécifique de la Russie. Nous sommes affectés par la crise globale du néolibéralisme.

WW :Si Poutine survit, on peut présumer qu’il dirigera un gouvernement faible ?

BK : Je ne pense pas qu’il survivra longtemps. L’élite est loin de considérer un gouvernement faible comme la meilleure option pour faire face à la crise. La bourgeoisie et l’oligarchie avaient besoin de Poutine quand il était capable d’apporter de la stabilité. Maintenant il est l’exact opposé de ce qu’il leur faut, ils peuvent donc commencer à regarder ailleurs. Pour le moment Mikhail Prokhorov, l’entrepreneur milliardaire qui se présente comme indépendant, semble être une mauvaise option, mais le fait même qu’il se présente nous indique que l’élite recherche un candidat pour remplacer Poutine. C’est une autre histoire de dire s’ils vont réussir à trouver une solution. Ça n’a pas l’air trop probable actuellement.

WW :À quel point la classe ouvrière a-t-elle fait ressentir sa présence ?

BK : Pour l’instant non. Il y a eu quelques grèves mais elles n’ont pas été connectées à la protestation démocratique. Et les libéraux ne veulent pas du soutien et de la participation de la classe ouvrière. Cependant à Pétersbourg, les dirigeants syndicaux locaux se montrent dans la rue. Je pense que la classe ouvrière sera centrale dans la Deuxième vague de protestation qui s’approche certainement.

WW :Tu as mentionné la théorie des situations révolutionnaires de Lénine. Comment vois-tu la situation actuelle ?

BK : La première vague de protestation n’a apporté que très peu, et encore, si ce n’est que les partis de la Douma et les libéraux ont été discrédités. Mais la deuxième vague sera plus tranchante et mettra en avant des demandes sociales -pas nécessairement très radicales, mais essentielles pour les mobilisations de masse. La majorité des Russes ne sont pas encore prêts à se battre pour le socialisme, mais ils demandent un retour de l’État-providence, ce que les libéraux d’opposition ne soutiendront jamais.

De nouveaux mouvements, de nouvelles forces et de nouveaux dirigeants vont apparaître – c’est une part tout à fait normale du processus révolutionnaire dont nous Marxistes sommes heureux d’être partie prenante.

 

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